Rites, symboles et allégories dans l’exercice professionnel de la politique

Publicado em Informations sur les Sciences Sociales, Londres, v. 38, n. 2, p. 249-271, 1999


Les études qui prennent pour objet les formes de conduite politique caractéristiques de la démocratie représentative les dissocient, en général, des pratiques et des démarches de l’homme politique dans les structures sociales à priori non politiques, comme la famille. Les spécialistes n’ont pas trouvé la motivation nécessaire pour réfléchir sur les normes de conduite politique intériorisées dans les esprits et dans les corps, principalement par les biais des rituels familiaux. Ils ont tendance à préférer, parmi les différentes entrées qui permettent d’appréhender la politique, les chemins qui donnent accès à une identification immédiate entre politique et jeux des partis, entre l’organisation formelle des institutions et l’analyse statistique des élections. Les formes particulières que prend la domination politique demeurent confinées dans les études de micro-histoire et d’anthropologie (Pourcher, 1987 ; Abélès, 1989). Elles constituent ce que Yves Pourcher a appelé « la partie immergé de l’iceberg (Pourcher, 1991, 197) » et sont considérées par les analyses habituelles comme dépourvues d’un poids suffisant pour susciter des nouvelles perspectives théoriques sur le plan politique.
L’image de l’iceberg m’a incité à explorer les voies par elle suggérées : aborder la politique de l’intérieur, en me servant de ses expressions « officieuses », afin de réfléchir sur les formes de politisation des rapports sociaux que les analyses habituelles tendent à ignorer au nom des formes officielles de la politique. Dans cet article j’analyse deux cérémonies exemplaires sous cet aspect. Elles montrent l’action de certains hommes politiques dans leur milieu social cherchant à assurer leur existence politique et, par conséquent, les effets de cette action pour la reproduction des rapports qui constituent l’ordre politique où ils vivent. Ces cérémonies s’insèrent dans le cadre d’une recherche plus large, à laquelle je me consacre depuis environ dix ans, sur la problématique de la transmission du pouvoir politique et de la reproduction familiale dans la politique brésilienne (Canêdo, 1991 et 1994).
La première de ces deux cérémonies est un enterrement ayant lieu dans un cimetière de la ville de Muriaé, dans le Minas Gerais, brésilien ( ). Le défunt appartenait à un groupe familial considéré dans sa région comme « une famille d’hommes politiques », certains de ses membres ayant occupé des postes importants, tant au niveau régional qu’au niveau national, pendant des générations (Canêdo, 1991 et 1998 ; Horta, 1956). Mon intérêt pour cette cérémonie vient du fait qu’elle dévoile l’un des aspects empruntés par les pratiques qui assurent, transmettent et donnent du sens aux liens de parenté, lesquelles renferment des significations décisives pour le processus d’accumulation d’un patrimoine politique familial.
L’autre cérémonie est la fête qui célèbre le « Jour du Muriaense », prévu pour rendre hommage aux citoyens de la ville de Muriaé. C’est un événement officiel, marqué par un jour de congé municipal. Cependant, les diverses cérémonies officieuses qui font partie de la fête tournent autour de la mémoire d’un ancien maire qui a institué le 6 septembre comme le jour du citoyen de Muriaé. Ce maire, qui appartenait au groupe familial cité, est dans ce cas rappelé de manière à donner aux participants de la fête le sentiment de partager des idées et des intérêts.
Vues sous l’aspect de cérémonies politiques (Corbin, 1994 ; Martin 1995), chargées de gérer les sentiments d’identité et d’unité, l’enterrement et la fête du muriaense placent sous notre regard des éléments de l’expérience familiale que le groupe familial cité s’efforce de réactiver dans sa propre mémoire mais aussi dans celle de la population de la ville où il détient un pouvoir électoral depuis 137 ans : depuis l’arrivée à Muriaé d’Antonio Augusto Canêdo, nommé par le Ministre de la Justice de l’Empire, en 1860, au poste de premier juge de la région ( ).
Dès lors on peut observer à Muriaé les hommes politiques descendants du magistrat cherchant à maintenir et à stimuler leur capacité d’affrontement vis à vis de leurs adversaires, un ensemble d’autres familles influentes dans la ville, qui se relayent à l’opposition. Pour ce faire ils opposent la situation politique atteinte par leur famille au long du temps dans l’espace politique (leader de parti, leader de l’Assemblée législative, direction d’organes publiques, etc.) à celle des autres familles, dont les représentants n’ont jamais pris des grand envols politiques, une fois qu’ils n’avaient pas, comme les descendant du desembargador, la politique comme une activité à plein temps. Cette stratégie leur a assuré des opposants locaux qui, ayant l’activité économique comme activité principale, ne pouvaient pas se présenter aux électeurs comme un groupe guidé par la morale et les intérêts du service public, demeurant connus sous plusieurs noms de famille qui se succédaient dans la politique locale. Les descendants d’Antonio Augusto, en revanche, ont vu leur nom s’enraciner comme une marque politique de la région. Pio Canêdo, originaire de Muriaé et dans l’activité politique depuis les années 20, remplaçant son oncle, qui de son coté avait substitué son père, celui-ci étant le neveu d’un homme d’État de l’Empire, est très explicite sur le sujet : « L’homme politique vie toute l’année l’expérience des problèmes locaux. Il est le canal des revendications municipales. Il ressent de près tout ce qui concerne la vie de la municipalité. Il en est tout autrement avec l’homme d’affaires(...). L’homme d’affaires n’a pas de devoirs de solidarité et d'obligations vis à vis de la collectivité. Il n’a que son entreprise, une obligation avant tout financière ( ) ».
Dans la politique locale, l’affrontement entre les deux factions, accentué par des tensions qui donnent à toutes deux des droits plus ou moins équivalents, a permis leur alternance dans le pouvoir grâce à des élections compétitives où le pourcentage de votes nuls et blancs est infime ( ). « La rivalité locale préserve le pouvoir politique », déclare encore Pio Canêdo. Cette logique, qui oppose des figures allégoriques de domination en incarnant des vengeances personnelles (« Nous avons gagné lors des élections. Nous sommes vengés », dit un électeur quand il a appris la victoire de sa faction dans les urnes ( )), c’est ce qui, depuis le XIXème, donne du sens à la vie politique de la région. Cela a, de plus, rendu difficile la survie dans la ville de partis avec des plates-formes idéologiques tout en étiquetant les deux factions avec des sigles de partis « idéologiques », mais qui ont changé d’appellation selon le contexte historique : Conservateur X Libéral, pendant l’Empire (1822-1889) ; UDN (Union Démocratique Nationale) X PSD (Parti Social Démocratique), pendant la période 1945-1965 ; Arena 1 X Arena 2, de 1965 à la fin des années 1970 ; PMDB X PTB, depuis les années 1985 ( ). « Pour que les gens suivent un nom il faut qu’il soit attaché à un parti, dit José Canêdo. Il faut faire danser la baiana qui cache un homme dedans ( ) ».
Si l’on considère le temps d’action de ce groupe familial dans la politique mineira, la stratégie de ses membres pour diffuser et enraciner les représentations qu’ils veulent donner d’eux même jouent un rôle non négligeable pour la compréhension des rapports politiques dans le Minas Gerais. Car ils ne sont pas un cas unique. Dans le Minas Gerais, le pouvoir a été exercé depuis toujours, dans les postes les plus importants, presque exclusivement par des groupes familiaux de même type d’origine sociale et de tradition dans l’exercice du pouvoir ( ). Dans la composition actuelle du corps de l’État on retrouve encore les membres des anciens groupes – quand ils ne sont pas dans les postes les plus élevés, comme l’actuel gouverneur de l’État ( ) – agissant comme intermédiaires pour le chois de ceux, outre eux-mêmes – qui s’élèveront dans la politique du Minas Gerais (Hagopian, 1990). S’élever dans le Minas signifie s’élever dans la politique nationale, il suffit d’examiner le nombre de présidents de la République et de vice-présidents (6 et 7 respectivement) originaires de cet État, mais aussi la forte représentation mineira dans les principales fonctions dans tous les Ministères au long de l’histoire ( ).
Le succès de l’élite mineira dans la préservation du pouvoir est connu comme « le secret du Minas », de quoi se nourrissent les hommes politiques mineiros (Arruda, 1990 et 1992). On considère ce secret comme allant de soi et comme tel il est continuellement légitimé par les médias : « Qui peut comprendre le code des mineiros ? », interroge un chroniqueur du journal O Estado de São Paulo , l’un des plus renommés du Brésil. En ce sens, et considérant que la bibliographie sur la mentalité de la politique mineira est symptomatiquement plus vaste que les études empiriques sur les formes d’action de ses élites, les actions des hommes politiques mineiros deviennent objet de réflexion politique.
La politique étant conçue comme l’art de jouer à court terme, en raison des instabilités facilement perçues dans le champ institutionnel, dissimule ainsi le fait que, au-delà des instabilités, le champ institutionnel dispose aussi de moyens d’agir suivant les règles spécifiques d’un jeu assez complexe. C’est un champ tendu, instable, où ceux, moins bien préparés, ont des difficultés à maintenir une position adéquate par rapport au centre du pouvoir, parce qu’ils sont devancés par les hommes plus expérimentés, qui dominent mieux les préceptes existants, dont la plupart ne sont pas des règles écrites. Il est vain d’insister sur le long temps de préparation exigé pour dominer ces règles. Non seulement à cause de la difficulté pour les apprendre, mais parce leur application exige une habilité tout spéciale.
Or, en général c’est encore à l’intérieur des familles et des réseaux de connaissances qu’on acquiert cette habilité, transmise sous le nom de « vocation » (domaine de règles), avec les convictions idéologiques et tant d’autres, parmi lesquelles la conviction que dans une « famille d'hommes politiques » tout et tous doivent être au service du public.
Les deux cérémonie analysées dans cette étude attirent l’attention par le fait qu’elles mettent en rapport étroit des événements familiaux et des événements de la politique locale, animées par des personnes appartenant à un groupe familial qui occupe des postes administratifs importants depuis des générations et qui ont détenu un pouvoir électoral pas négligeable lors des grandes élections dans le Minas Gerais. En ce sens, elles permettent de saisir le côté actif de la connaissance pratique de certains hommes politiques mineiros, sur une scène autre que celle de la politique officielle.
La description des cérémonies est basée sur des entretiens réalisées auprès des membres de la famille en question, sur des articles de la presse locale et sur mon expérience personnelle, car je suis moi même membre de la famille.


1. La pratique rituelle devant la mort et la reproduction familiale dans la politique


L’examen de la cérémonie d’enterrement nous montrera que ce qu’il y est en jeu, avant tout, c’est le maintien de la cohésion et de la solidarité familiales, qui constituent des éléments fondamentaux pour des détenteurs d’un patrimoine politique pris dans une histoire de longue durée, car seulement à l’aide de liens forts et durables ils sont capables de se reproduire.
En fait, c’est la manière dont les acteurs du rituel font appel aux sentiments de cohésion et de solidarité familiales qui nous permet de saisir, quand on observe la cérémonie des funérailles, la distinction existante entre la transmission d’un capital politique et celle du capital économique. En effet, à la différence des héritiers d’un capital économique accumulé, les membres d’une « famille d’hommes politiques » ne sont pas soumis au fait que seuls les héritiers légitimes ou testamentaires puissent jouir de l’héritage du défunt. Dans une « famille d’hommes politiques », non seulement les membres de cette famille, mais l’ensemble de la parenté, dès le cimetière, hérite des biens symboliques du défunt. Il faut, cependant, pour cela qu’ils s’inscrivent dans la conscience d’être des héritiers. Car en tant que tels, ils doivent assumer des obligations auxquelles ils ne pourront plus se dérober, puisque renoncer à ces biens symboliques signifierait la mort politique du groupe. Ce sont ces biens symboliques qui donnent la cohésion nécessaire à la famille, en même temps qu’ils garantissent les rapports de clientèle qui sont à la base de la circulation d’informations, des échanges de services, de l’aide réciproque. Parce qu’on appartient à la famille (de sang ou métaphorique) on est ouvert à tout faire pour les autres et ces échanges sont à la base du pouvoir social d’une « famille d’hommes politiques », donnant une signification à l’activité politique.
Le récit exposé ci-dessous est un exemple d’une des formes de transmission de la cohésion familiale. On en retient que, puisque les biens symboliques ne sont pas transmis de façon automatique, chacun doit se considérer un héritier avant de recevoir l’héritage, ce qui implique un apprentissage préalable que l’on a fait au sein du groupe. Je m’intéresserai ici à l’enterrement d’Augusto Alves Pequeno, l’un des membres de la famille étudiée, mort en 1992. Le récit m’a été raconté par un homme politique en début de carrière. Médecin, il a un curriculum vitae professionnel centré dans le domaine des politiques publiques liés à la santé, à l’assainissement et à l’éducation. Il était cousin en cinquième degré du défunt.

Augusto était médecin et ancien vereador ( ). Du côté de sa mère, il descendait d’un grand propriétaire terrien (le baron du Alto Muriaé). Par son père, il a toujours été considéré comme un homme illustre dans ville, car il appartenait à la famille d’un important homme d’État de l’Empire (Antonio Hermeto Carneiro Leão, le Marquis du Paraná) et du sixième président de la République brésilienne (Afonso Augusto Moreira Penna).
Dans le désarroi provoqué par sa mort, son fils aîné, propriétaire de terres d’un héritage venant de sa mère, décide de l’inhumer dans un grand cimetière de l’Église Catholique, dit le « cimetière du haut ».
Or, il s’avère que cette décision allait à l’encontre des coutumes du côté paternel de la famille d’Augusto, dont les membres étaient inhumés dans un petit cimetière public, celui « d’en bas ». Inhumer les morts de la famille dans un cimetière public a d’ailleurs toujours été un moyen pour les hommes politiques de la ville d’afficher leur différence.
Afonso, cousin en troisième degré d’Augusto, âgé de 89 ans, ayant pris connaissance des intentions du fils d’Augusto, fut très inquiet et commença à mobiliser l’ensemble de la famille sur le problème de l’emplacement de l’inhumation. Ayant beaucoup de difficulté à se mouvoir, il chercha à reverser une situation qui lui semblait très grave grâce à l’aide de son fils cadet, un des homme politique de la famille, qui débutait dans la carrière politique. La situation semblait pourtant être irréversible une fois que toute la préparation des funérailles avait déjà été effectuée. Mais Afonso ne prit guère de repos tant qu’il ne réussit pas à faire transférer l’enterrement à l’autre cimetière.
Ce transfert n’était pas une affaire simple, à commencer par le fait que la sépulture du père d’Augusto, située au cimetière d’en bas, était assez réduite. Le tombeau nécessitait donc d’être agrandi. En plus, la cérémonie des funérailles avait été fixée pour le lendemain matin, ce qui signifiait que les aménagements devaient être effectués pendant la nuit. Convaincre l’ouvrier de travailler en dehors de sa journée de travail ne fut, non plus, chose facile. Par ailleurs il fallait obtenir une licence auprès de la mairie pour l’agrandissement de la sépulture, sans oublier la nécessité de régulariser la situation vis à vis du cimetière catholique.
Malgré tout, voulant à tout prix empêcher un événement qu’il considérait comme désastreux, le vieil homme conduisit, d’une démarche hésitante et inquiète, le fils du « cousin Augusto » jusqu’au cimetière public, accompagné de la famille et de quelques amis. Il lui montra le tombeau de son grand-père, de son grand-oncle, de ses arrières grands-parents (dont les rues de la ville ont hérité les noms) et mit l’accent, lors de son argumentation, sur les places qu’ils avaient occupées dans l’espace social et l’importance politique de chacun d’entre eux. Il fit également remarquer que tous les membres de la famille décédés et réunis dans ce cimetière avaient en commun le fait d’avoir été des personnages politiques illustres de la ville. Bref, Augusto n’était pas un anonyme. Dans un cimetière public, « très personnalisé », d’après Afonso, tous les morts se connaissaient et était connus du défunt. Il était nécessaire qu’ils soient également connus par les parents vivants afin qu’ils puissent mieux se situer dans le temps et dans l’espace social et politique.
C’est ainsi qu’Afonso réussit à obtenir l’accord du fils du cousin Augusto pour le transfert de la cérémonie des funérailles. Pour cela, le jeune homme dû effectuer des démarches extrêmement pénibles mais finalement il fit que son père se joigne à ses ancestraux, dans le même cimetière. Et lui-même s’est rallié à ses parents vivants.


Au moment des funérailles d’Augusto, son cousin Afonso a investi la charge de chef de cérémonial d’un rituel familial chargé de marquer, de manière virtuelle et pérennisée, l’existence de la « famille d’hommes politiques », unie dans cet espace délimité du cimetière public( ). Face à un péril imminent pour la cohésion - l’oubli - il a agi, ramenant l’histoire du groupe à ses membres. Sans accorder aucune connotation nostalgique à son acte, Afonso cherchait en fait à rétablir le passé dans le présent, imprimant une valeur qui le permette de s’inscrire dans la continuité.
J’attire l’attention sur le fait qu’Afonso, l’homme le plus âgé de la famille, n’a jamais été homme politique. Cependant il a été le petit-fils, le neveu, le frère, l’oncle et le père d’hommes politiques. Au moment de ces événements il a quand même révélé l’incorporation d’attitudes qui, plus que les programmes de campagnes électorales soigneusement préparés, rendent intelligible la permanence de la famille dans le politique. Il montre par son attitude que la reproduction politique ne peut exister que si elle est pratiquée et agissante. Et elle ne peut l’être que si elle rencontre des individus qui, comme Afonso, sont en mesure de la prendre en charge, et sont capables d’assumer les places qui leur sont destinées dans les moments d’incertitude. Autrement dit, il s’avère indispensable que quelqu’un se dispose à faire ce qu’on attend de lui et qu’il attend de lui-même. Quelqu’un qui, disposant d’expériences antérieures, soit apte à faire revivre une histoire (Bourdieu, 1980).
En acceptant le transfert et l’inhumation du corps de son père dans un autre cimetière, le fils d’Augusto reconnaît sa place dans la famille et peut finalement assumer son identité sociale face à l’ensemble des participants de la cérémonie, dès lors qu’il s’empare de son héritage symbolique. En outre, le sentiment d’un devoir à l’égard de la famille paraît transparaître lors des élections qui eurent lieu quelques temps après les funérailles, quand, pour la première fois, il apporta à un cousin candidat un large soutient financier et un travail considérable auprès des cabos—eleitorais, qui se solda par un important gain de voix. Il suffit de citer le fait que dans le village voisin à sa propriété – Bom Jesus – le candidat de la famille a obtenu 96% des voix (Source – Cartório Eleitoral de Muriaé – Eleições 1994).
Le fils d’Afonso, l’homme politique de la famille, accompagnant son père pendant les événements, avait pour sa part agi en auxiliaire du rituel. Son sens d’homme politique lui a permit de ressentir l’importance de sa participation, à tel point qu’il me l’a signalé lui-même sans aucune suggestion de ma part. Ceci ne signifie nullement qu’il ait compris qu’il contribuait à produire du sens à la représentation politique d’un groupe familial qui, pour continuer à exister, nécessite de la pratiquer aux moments d’incertitude.
Dans ce cas, les champ des incertitudes se constitue autour des participants de la cérémonie, les membres de la famille et une partie de la population des électeurs de la ville, qui ont accepté le déplacement des obsèques et y ont participé, légitimant par ce biais l’existence d’une famille d’hommes politiques prestigieux suffisamment unie. Ainsi, la reproduction, aussi bien sociale que politique, n’est pas unilatérale. Elle ne peut exister qu’au moyen d’une complicité des individus qui travaillent conjointement pour lui fournir un sens.
Grâce à cette complicité, la mort a été neutralisée et a fini par ne pas être perçue comme une catastrophe politique pour la famille. La cérémonie des funérailles a, au contraire, renforcé le pouvoir politique dont disposait le groupe familial ainsi que sa maîtrise du temps : la force de la présence symbolique remplaçant l’absence causé par la mort biologique. Dès lors, les sépultures de cimetières contribuent à nourrir la mémoire familiale et celle de la population de la ville, qui étaient auparavant nourries seulement par des portraits, des cortèges et des noms de rue. Les tombeaux des morts prennent possession des vivants par un rituel transformé en acte historique (Bourdieu, 1980).


2. Le métier politique dans le cérémonial de commémoration du « Jour du Muriaense »

Une famille détentrice d’une mémoire politique importante et qui dote ses membres d’une parenté considérablement utile n’est par elle même pas en mesure de réaliser seule l’exploit de la pérennisation de ses membres dans le champ du pouvoir. Elle a besoin non seulement de réactiver sa propre mémoire familiale, comme le démontre la cérémonie du cimetière, mais aussi de réactiver celle de la population et se préparer pour le rituel majeur des élections qui a lieu à des dates précises. Pour ce faire, elle utilise des rituels préventifs visant, pendant leur déroulement, à rappeler des engagements et des obligations, bref à déterminer des pratiques sociales et politiques.
La cérémonie que je vais décrire est l’un de ces rituels préventifs. Il s’agit du « Jour du Muriaense », institué l’année du centenaire de la ville de Muriaé (1955) et qui depuis est célébré tous les ans, le 6 septembre( ). En ce jour, décrété congé municipal, la ville se lève et ce couche en ambiance de fête.
Les festivités se passent tous les ans de la même manière, des scènes s’alternant comme dans une pièce de théâtre. Dès l’aube la population de la ville est réveillée par une fanfare qui courre les principales rues sur un camion annonçant « leur jour » aux muriaenses. Durant la matinée, il y a un hommage à Antônio Canêdo, le maire qui a institué la date. Suit un déjeuner amical organisé pour rendre hommage à ceux qui, bien que natifs de la ville, vivent ailleurs et lors de la fête sont considérés comme des muriaenses absents. Finalement, en fin d’après-midi, à 17 heures, la seule cérémonie officielle de la journée a lieu dans la mairie. Il s’agit de la remise du titre de citoyen honoraire aux non-muriaenses qui rendent des services notables à la communauté.
L’existence de ces commémorations se doit au fait que la famille du créateur du « Jour du Muriaense » s’engage dans leur promotion, de sorte que la fête tourne au tour de sa figure symbole : Antônio Canêdo, médecin, député de l’assemblée constituante en 1946 et maire de la ville entre 1955 et 1960. Il est mort tragiquement, en 1960, alors qu’il se préparait à quitter sa charge et se présenter à nouveau comme député. L’événement a ému l’ensemble de la ville et c’est pourquoi sa figure a pu être utilisée pour donner le sens initial à la célébration annuelle de la date. Aujourd’hui cette commémoration est devenue un événement obligatoire dans la ville et de la ville, la population l’attendant tous les ans. Mais l’enthousiasme pour la fête souffre des variations selon le groupe politique qui détient le pouvoir municipal. Si la famille du Dr. Antônio ou ses partisans, la figure de leur symbole apparaît plus fortement. Si l’autre faction est à la mairie, tout un effort est fait pour affaiblir l’image de l’ancien maire.
Je me suis servie de deux documents produits par la fête pour la décrire : le quotidien Tribuna Popular, du 12/09/1992 (une année où un représentant de la famille du Dr. Antônio était maire), et une invitation pour les commémorations de la fête de 1994, quand l’alternance de pouvoir s’est faite. Le récit du déroulement de la cérémonie est issu de mes propres observations de la fête à laquelle j’ai assisté plusieurs années de suite.

Les Muriaenses fêtent leur jour
La commémoration, déjà traditionnelle, du Jour du muriaense, a réuni les autorités et la population face au buste en bronze du fondateur du 06 de septembre, Docteur Antonio Canêdo, afin de lui rendre les hommages qui lui sont dus pour avoir institué à cette date le Jour du Muriaense
Les festivités ont débuté dès l’aube à cinq heures du matin. A huit heures, sur la Place Santos Dummont en face du Palais de Justice, l’on a hissé les couleurs: le drapeau national par le maire Christiano Canêdo, celui de l’État par l’ex gouverneur de Minas , le docteur Pio Soares Canêdo, et celui de la ville par l’orateur officiel de la cérémonie, Docteur Antonio José Monteiro de Castro Neto
Après le discours de l’orateur officiel, le chef d’orchestre Hélio Téofilo dos Santos a fait jouer le « toque de silence » qui a été suivi de l’hommage des élèves de l’École Publique Dr Antonio Canêdo qui ont déposé des gerbes et chanté l’hymne à leur patron éternel (Tribuna Popular, 12/9/92).


Traditionnellement, du moment que, comme l’année de cet article, les partisans du Dr. Antônio sont au pouvoir, les commémoration de la fête se caractérisent par une fanfare qui accompagne un défilé de casernes et d’écoles publiques municipales de la ville, dans une marche aboutissant au buste de « leur patron éternel ». (Cependant,quand la faction opposante est au pouvoir, il n’y a pas de défilé, les cérémonies de la matinée se réduisant à la musique à l’aube et aux discours face au buste du Dr. Antônio). En ces années-là la cérémonie est vraiment complète, une fois qu’avec le soutient de la mairie, les écoles se préparent tout au long de l’année pour le grand événement, chacune proposant un thème différent pour le défilé.
Les thèmes du défilé sont toujours en rapport avec un événement historique - où l’aspect moral, politique ou culturel en est valorisé et que chacune des écoles cherche à inculquer de manière exemplaire. La suite de l’article y fait référence :

L’École Municipale Professeur Esmeralda Viana, la première école construite en zone urbaine est l’une des réalisations du gouvernement Christiano Canêdo et João Braz (...). Les élèves ont cette année rendu hommage au bicentenaire de l’Inconfidência Mineira, un mouvement nativiste [pour l’indépendance du Brésil], ayant des idéaux libertaires, inspirés de la Révolution Française. En dépit des crises que connaît aujourd’hui le pays, l’idéal de liberté ne peut pas mourir. Et l’actuelle administration a planté a planté cette graine dans le quartier Inconfidência en inaugurant l’école Esmeralda Viana, parce qu’ÉDUQUER c’est LIBERER !
Le défilé de l’école municipale Professeur Stella Fidélis avait pour thème l’Indépendance du Brésil. La plus récente des nouvelles écoles construites par l’administration de la ville a, quant à elle, retracé le processus historique de libération du pays qui a débuté en 1808 et atteint son point culminant avec le « cri de l’Ipiranga » en 1822. (...)
l’École Municipale Professeur Elza Rogério, située dans le quartier Gaspar est l’une des perles de l’administration actuelle, tant par son esthétique que par sa fonctionnalité. Aussi a-t-elle organisé un défilé intitulé l’Éducation : de la Découverte à la Municipalisation, où chaque classe raconte l’histoire de l’Éducation depuis l’arrivée de Cabral, en passant par le rôle des Jésuites - les premiers éducateurs du pays -, le Brésil Colonial, le Brésil Monarchique et le Brésil Républicain, le tout s’achevant par la Municipalisation de l’Éducation qui eut lieu sous le Gouvernement Christiano Canêdo et João Braz et qui permit, entre autres bénéfices, le renouvellement permanent des enseignants, la conservation du réseau scolaire, la création des écoles du premier cycle, l’augmentation des classes de deuxième cycle, la création des cours préparatoires, des concours publics et l’accroissement significatif du nombre des élèves passé de seulement mille sept cents élèves en 1988 à cinq mille huit cents actuellement.


On observe facilement que sous le couvert d’un sujet universel, comme l’histoire de l’éducation, les thèmes des défilés louent les figures politiques du moments, en vantant leurs actions politiques, dans une continuité que les insère dans une trame historique éternelle. La description du défile de l’école Elza Rogério, en est exemplaire : l’actuel maire de la ville est mis au même plan historique que Pedro Álvares Cabral, celui qui a découvert le Brésil.
Après le défilé, la famille et les partisans de la faction Canêdo, réunis face au buste du Dr. Antonio (les représentants officiels ne comparaissent à cette cérémonie que s’ils appartiennent à la même faction), exaltent, chaque année, la figure de celui à qui l’on rend hommage et ses principales réalisations à l’administration municipale et à l’Assemblée constituante de 1946. On mentionne généralement les grands travaux publics réalisés dans les favelas et les banlieues pauvres, mais aussi sa proposition de Loi pour le Soutient de l’Enfance, bannière pour évoquer ses oeuvres de caractère social et éducatif, comme la Maison de l’Enfant qui depuis 1947 offre une assistance médicale aux mères et distribue du lait aux enfants pauvres. Les discours réaffirment, d’un ton d’affrontement, le compromis du groupe politique pour la continuité de ces oeuvres en comparant les administrations de deux factions.
La fête continue par un déjeuner de confraternité. En apparence le déjeuner ne semble pas être une activité politique, puisque le soin de son organisation est laissé à des personnes sans rapport explicité avec aucun des groupes politiques de la dispute locale. Il repose sur ces personnes l’assurance d’une reconnaissance de l’enracinement local. De fait, ce déjeuner existait bien avant la création du « Jour du Muriaense ». À l’origine une tradition d’une importante famille de Muriaé, qui profitait des congés nationaux de la Semaine de la Patrie (le 7 septembre est le jour de l’indépendance du Brésil, la fête nationale) pour réunir les amis et les parents n’habitant pas la ville, le déjeuner s’est ouvert, après l’institution du « Jour du Muriaense », à tous les muriaenses absents. Aujourd’hui encore son organisation est commandée par une des femmes de cette famille. Le même article de la Tribuna Popular nous informe de la présence de 400 personnes au « Déjeuner de Confraternité des Muriaenses Absents, moment culminant des commémorations du Jour du Muriaense » de 1992.
La fête se termine par la seule cérémonie officielle du jour : la remise du titre de citoyen honoraire, prévu par une loi municipale instituée en 1955 par le créateur de la date. Il s’adresse à ceux qui habitent la ville sans en être originaires. L’indication des personnes honorées par le titre est faite par les vereadores, qui considèrent lors de leurs choix les intérêts du parti politique qu’ils représentent et celui des électeurs. Chaque vereador a le droit de proposer un nom, ce qui donne une moyenne de 20 honorés par an.

Lors de la célébration du « Jour du Muriaense », trois aspects attirent l’attention si l’on veut faire une analyse de « l’équilibre des tensions toujours mouvant », selon le sens donné par Norbert Elias (1994, 152-3), qui s’établit entre ce groupe familial, la faction que s’y oppose et les électeur de la ville.
Le premier se réfère à l’hommage tenu auprès du buste en bronze du Dr. Antonio, localisé devant le Forum de la ville, et qui inscrit dans une continuité parfaite l’espace public et l’espace privé : il met côte à côte, dans la place, les écoles publiques, les autorités officielles et la famille de celui à qui l’on rend hommage. Ces derniers sont vus comme des hommes politiques, appartenant à un parti politique, par lequel ils disputent des élections compétitives pour les postes de l’État. Il s’agit dès lors de montrer l’honoré, ou ses héritiers politiques, dans le cadre de la modernité politique et de l’affrontement. Les liens de parenté qui ont permis aux maires de la famille l’obtention de fonds fédéraux et de l’État pour la réalisation des travaux ne sont pas mentionnés dans les discours. « Je me souviens bien de l’époque où votre oncle [Dr. Antonio] était le maire (1955—1960). Nous avons souvent été en rapport parce qu’il voulait réaliser les travaux du fleuve Muriaé( ) », m’a déclaré en entretien Gilberto Canêdo de Magalhães, ancien directeur du Département National des Ponts et Canaux. « L'agrandissement des réseaux d'égout et d’eau potable n"a été possible pendant mon administration que parce que Afonso [frère] avait eu une longue expérience dans la Secretaria de Travaux Publics de Rio de Janeiro( ) ». Quand les travaux sont énumérés dans les discours, ils ne servent qu’à souligner la nature des obligations de chacun des présents (de services publics en échange de votes et de soutient politique) et à indiquer les raisons de l’adhésion à une faction politique et non à l’autre.
Il vient de là la manière dont sont faites les invitations à l’hommage : elles montrent l’importance que revêtent les pratiques de deux factions concurrentes pour maintenir la tension dans l’espace politique.
Ainsi lorsque la famille de l’honoré est au pouvoir, l’invitation à l’hommage est adressé par la mairie. Le maire, par ailleurs, distribue des uniformes aux élèves du réseau public afin qu’ils puissent défiler avec leurs écoles sous le regard des leurs familles - qui descendent des quartiers populaires, fières de voir ses enfants, petits enfants et frères prenant possession des rues comme les personnages les plus importants de la fête. « J'aime à voir le sourire des mères, des grands-parents édentés, heureux d'admirer le défilé des écoles crées par l"oncle Antonio e moi-même. Cela m'émeut vraiment » déclarait l’un des anciens maires (idem).
Si la famille ne détient pas le pouvoir politique, l'invitation à la fête est alors lancée par la Maison de l'Enfant - crée en 1947 et dirigée depuis toujours par des membres de la famille - le principal symbole légitimant les échanges politiques pratiqués par la famille afin de maintenir ses rapports de clientèle. Les mères des quartiers populaires étant invitées par la Maison de l'Enfant se sentent en devoir de comparaître à l'hommage avec leurs enfants, car ils ont été soignés gratuitement par des médecins sous l’égide de feu Dr. Antonio depuis le pré-natal, recevant gratuitement du lait jusqu’à trois ans. La Maison de l’Enfant envoie aussi des invitations à de personnes habitant d’autres régions du Brésil et du monde, à tous les muriaenses qui figurent dans les registres municipaux. Cette invitation est signée par le président de la Maison, toujours une femme de la famille, ainsi que l’on peut observer ci-dessous :

Cher Monsieur
Traditionnellement, le 6 septembre, les amis du Dr. Antonio Canêdo, afin de démontrer leur gratitude éternelle, se réunissent pour lui rendre les hommages de toute la ville où, durant les 47 années de fonctionnement de l’une de ses oeuvres --- la Maison de l’Enfant --- plusieurs générations ont reçu l’assistance et le soutien de ses services.
Nous vous convions, ainsi que votre famille à participer aux solennités prévues pour l’occasion.
Date : 06 septembre 1994.
Heure: 09h00.
Adresse : Place Lincoln dos Santos (face au Palais de Justice).
Votre obligé
Theresinha Ilva Canêdo Passos
Présidente de l’APMI, responsable de la Maison de l’Enfant


La réussite de cet hommage exige ainsi un travail considérable de la part de la famille Canêdo, ainsi que le suggère dans une interview l’épouse d’un des hommes politiques appartenant à cette famille : « A chaque veille du « Jour du Muriaense », C. ne tient plus en place. Il a le sommeil agité et téléphone `a toute la ville pour rappeler l’hommage. A cinq heures du matin il est déjà debout, très tendu, pour assister à la mise en place de l’orchestre dès l’aube( ) ». Une autre femme de la famille a raconté que « T. a téléphoné chez nous plusieurs fois de suite, pour nous dire que nous devions tous nous rendre à l’hommage de l’oncle Antonio, même le bébé (...) Nous y sommes tous allés de peur qu’il ne se fâche( ) ».
Un autre interviewé( ) voit la cérémonie comme une sorte de sondage électoral préliminaire, où la présence d’un grand public à l’hommage serait significative d’une victoire probable aux élections des partisans du Dr. Antônio.
La présence des invités à l’hommage est favorisée par le jour férié national du 7 septembre (anniversaire de l’indépendance du Brésil) qui permet le déplacement de ceux qui habitent dans d’autres régions. C’est la raison du déplacement du jour de la commémoration : la ville a été émancipé un 16 mai et on le fête le 6 septembre. Ainsi, comme l’avait voulu Antônio Canêdo, la date est devenue un moment de rencontre, où l’on revoit et embrasse les parents et les amis.
Les rencontres ont lieu lors du déjeuner de confraternité, deuxième aspect relevant à l’analyse. Contrairement à l’hommage rendu dans la matinée, ce déjeuner se veut une célébration de l’harmonie, car la faction opposante comparaît et contribue au succès des célébrations, une fois que se trouvent également présents au déjeuner des électeurs potentiels qui n’habitent pas la ville. Ainsi, les représentants de deux factions fraternisent au côté des amis, des mères, des enfants, des grands-parents, cette fois à la dentition bien soigné : n’y sont présents alors que les membres des familles aisées. Les tensions ressenties dans la matinée lors de l’hommage peuvent ainsi être équilibrées.
Ceci est garanti par le fait que depuis des années l’organisation du déjeuner repose sur les mêmes règles : le local est toujours un club ou une association et les femmes chargées de sa préparation n’appartiennent pas aux familles politiques qui s’affrontent. L’idée de confraternité, l’harmonie, est objectivée par l’absence d’éléments emblématiques (soit dans la décoration, soit dans les discours). Toutefois, l’image du Dr. Antonio, bien que non visible, apparaît dans la figure de ses parents, toujours présents.
L’équilibre ne peut donc être vraiment ressenti que lors de la remise de titres de Citoyen Muriaense, à laquelle, par l’intermédiaire des vereadores, les représentants des deux factions sont obligés d’être présents. Cet équilibre des tensions marque le début de la préparation pour le rituel majeur, c’est à dire, les élections proprement dites.
En effet, la fête a lieu un mois avant les élections brésiliennes qui se réalisent le 4 octobre, pour le premier tour, et le 15 novembre pour le second. Ainsi, lors du « Jour du Muriaense », dans l’émotion des retrouvailles et la réactivation des liens d’identité, se prémunit-on, sans aucune intention préméditée, contre la possibilité que les titres des électeurs qui n’habitent plus dans la ville soient transférés dans d’autres régions. À l’inverse, à partir de la remise du titre de Citoyen Muriaense, la personne honorée est confrontée aux devoirs de la citoyenneté civique, définie localement dans la reconnaissance de l’individu comme appartenant à la communauté. En acceptant l’hommage, le citoyen se sent dans l’obligation de s’inscrire sur les listes électorales locales, et voter pour l’un des candidats de la ville( ). Il s’agit donc de transférer leurs titres d’électeurs d’autres localités à Muriaé( ). Ceci sert à expliquer la présence aux urnes de 69,5% de la population de la ville (58.853 électeurs), ce qui est un chiffre important si l’on compare à celui des villes nouvelles, originaires du boom industriel des années 1950, où la dispute familiale n’existe pas. Dans le Minas Gerais, 60% de la population en moyenne s’inscrit dans les listes électorales, d’après les données fournies par le Tribunal Régional Électoral de Minas Gerais.
La fête contribue ainsi à perpétuer l’ensemble des rapports constitutifs de l’ordre politique, une fois que grâces à elle on obtient une réponse favorable de la part des électeurs à la sollicitation d’avoir leur présence aux urnes, quelle que soit la faction choisie. Ceci explique le petit nombre de votes nuls aux blancs à Muriaé. Car, pour reprendre le raisonnement de Michel Offerlé (Offerlé, 1995), pour qu’il y ait des élections il faut qu’il y ait préalablement un travail de mise en forme en acte de la catégorie de citoyen (investissement de formes matérielles, juridiques et symboliques), il faut surtout que les protagonistes de l’élection – électeurs, candidats et commentateurs - trouvent un intérêt suffisant pour agir : « Car le citoyen ici comme ailleurs n’est jamais seul. Il agit autant qu’il est agi, puisqu’il participe avec d’autres à la production continue de l’institution (Offerlé, 1994, 2) ».
La commémoration du 6 septembre, bien qu’organisée, en grande partie, de forme officieuse, délimite l’activité politique par la mise en place d’actes multiples, en lui conférant une existence concrète et donc en sens réel, en ce qui concerne la motivation pour voter. Olivier Ihl souligne à ce propos que « si l’on vote pour un candidat, l’on vote plus encore pour l’institution même du vote. Autrement dit, à mesure qu’il se renforce, le sentiment du devoir civique oblige les opinions à s’exprimer dans, par, mais également pour l’institution électorale (Ihl, 1977, 17) ». Pour le renforcement du sentiment civique, les liens sociaux se mélangent aux liens politiques, dans un rituel qui rappelle les engagements et les obligations, en apportant de l’espoir en plus. Ainsi le déroulement du rituel et sa gestuelle se réalisent-ils dans le cadre d’un présent mêlé à un passé qui se confondent dans la promesse de futur, auquel s’attache l’espoir de réalisations plus belles et plus grandes encore, ainsi qu’on peut le noter à la lecture de l’article cité auparavant : « Un défilé grandiose (...) où les groupes distincts [les élèves] racontent l’histoire de l’Éducation depuis l’arrivée de Cabral, en passant par les Jésuites - les premiers éducateurs -, par le Brésil Colonial, le Brésil Monarchique, le Brésil Républicain jusqu’à la Municipalisation de l’Éducation qui eut lieu sous le Gouvernement Christiano Canêdo » (Tribuna Popular, Muriaé, 12/09/1992).


3. Symboles et allégories

Les funérailles et la commémoration d’une date de confraternité entre les habitants d’une ville sont, à première vue, deux cérémonies ayant des fonctions différentes. Pourtant, lors du déroulement des deux événements décrits, l’énergie manifestée par certains hommes et la présence attentive et active d’autres qui les accompagnent font voir que leurs fonctions dépassent celles de se réunir pour rendre hommage à un défunt ou de fraterniser lors d’une date de fête. La mobilisation formée autour des événements fait changer leurs fonctions originales, leur apportant un sens nouveau. Dans les deux cas, l’affairement des membres de la famille d’hommes politiques n’a pas simplement eu pour fonction de signifier, mais aussi de contraindre, de rappeler des engagements et des obligations, de créer des conditions pour l’existence d’un intérêt « désintéressé » par la politique, bref, de déterminer des pratiques sociales et politiques. En ce sens, les deux cas décrits deviennent des éléments importants pour la compréhension des formes de politisation des relations sociales dans une région particulière du Minas Gerais.
En cette fonction, les cérémonies présentent des traits similaires. Il convient de signaler, en premier lieu, la marge d’improvisation qu’elles laissent à ceux qui y prennent part. C’est, par exemple, ce qui permet, alors même que les gens assistent à la scène connue et répétitive d’un enterrement, de transmettre l’idée qu’un individu ne doit pas être considéré que par lui-même, mais en fonction de sa place et de son rôle dans la structure familiale, dans la durée. Cette idée est exprimée sous forme d’un rappel imposé du respect qui est moralement dû aux parents morts et aux ancêtres, ce qui fait que les funérailles finissent par créer une sorte d’échange à l’intérieure de la famille, une identification entre les générations, faisant des obligés à travers une « sacralisation » de la famille. Quant au « Jour du muriaense », une partie importante de cette improvisation est laissée à la population, en ce que qui concerne le succès d’une commémoration qui appelle à des valeurs d'identité, capables de réactiver et de maintenir en équilibre la capacité d’affrontement de deux groupes familiaux dans l’espace politique. L’improvisation néanmoins, est provoquée par ceux qui détiennent la maîtrise pratique du sens des gestes, des mots et des émotions suscitées par des cérémonies qui réunissent de nombreuses personnes, autrement dit, par certains hommes politiques animés par les risques qui régissent leur conduite lors des situations d’incertitudes. Bref, des personnes qui détiennent la capacité de répondre aux situations pratiques et de s’adapter aux événements.
Mais c’est la complicité, pleine d’émotion, des participants qui, dans les deux cérémonies, fournit la chaleur humaine nécessaire à ce qui les soutient. Elle témoigne de l’existence de « moments sacralisés », par lesquels, pour reprendre la définition de Marc Augé sur les rites, il y a croisements de parcours, « ceux où notre trajectoire individuelle rencontre celle des autres (Augé, 1987) ». Il s’agit ici d’un croisement responsable de l’efficacité des stimulus déclenchés par ceux qui détiennent le savoir faire nécessaire à faire le jeu politique, c’est aussi bien le cas du cousin d’Augusto que des autres membres de la parenté présents à la fête du muriaense. En s’appuyant sur leurs expériences sociales et politiques, ils sont en mesure de dépasser l’événement lui-même pour en tirer profit pour la continuité d’une expérience politique, à travers la réminiscence d’une référence familiale. Enfin, l’on peut déceler dans les deux cérémonies les éléments considérés par les ethnologues comme constitutifs d’un rituel : la maîtrise du temps, la répétition et la formalisation des scènes, la dramatisation, la présence symbolique du sacré et la croyance des participants.
Mais ces deux rituels se différencient toutefois par un aspect très important pour la compréhension des actes qui favorisent la reproduction de l’ensemble des rapports constituant un ordre politique particulier. Les funérailles du « cousin Augusto », étant donné qu’il s’agissait d’un rituel pratiqué face à une menace de déséquilibre familial, ont fini par se transformer en symbole du pouvoir politique d’une famille, une fois qu’il faisait appel à son histoire à un moment d’incertitude et de risque imminent pour le capital politique du groupe. Lors de la fête du muriaense, le symbole politique devient plutôt une allégorie : il perd le sens évident pour signifier un concept général de pouvoir politique. L’histoire du politique familial incorporé dans le cimetière se converti en l’idée de son pouvoir, et selon le sens défini par Walter Benjamin, en métaphore sans histoire.
La différence se situe donc dans les effets politiques que produisent ces deux cérémonies, l’une renfermant un risque d’oubli et l’autre proposant des rites préventifs contre cette amnésie. En ce qui concerne le rituel préventif, la transposition d’un symbole en allégorie politique contribue à ce que les stimulus déclenchés par les hommes politiques atteignent la population de manière simplifiée, sans un passé, présent ou futur ordonnés chronologiquement. Ce « désordre historique » concourt à la persistance de signes génériques, contribuant également à occulter ce qui constitue le fondement de la représentation politique: le métier politique. Inversement, lors du rituel des funérailles, les dates sur les sépultures, la précision des noms et la relation des indicateurs qui orientent la construction du groupe familial dans le pouvoir apparaissent comme l’antithèse de ces signaux génériques. Ce sont des éléments qui visent à mette en avant, dans une élaboration du passé, la vocation familiale - la politique - la transformant en symbole de la famille. Quand la dernière est évoquée lors des discours ou des défilés qui s’adressent à un ensemble d’électeurs, sa signification est schématisée, et ne deviennent visibles que des signes abstraits représentant la croyance au pouvoir politique d’un groupe. Tel un caricaturiste qui dans le but de souligner une expression déterminée enlève plusieurs traits du corps dessiné, la réduction stylisée existant dans la fête décrite rend absents plusieurs traits ordonnateurs do métier politique, construits ici dans la durée et passant à travers plusieurs générations.
Dans un cas comme dans l’autre, on peut observer la dimension des instabilités et des possibilités historiques y contenues en termes politiques, qui ne peuvent se réduire à l’imédiatisme de l’application d’un code électoral, ou d’un idéal démocratique contrarié. Une observation pertinente des actions politiques cachées dans les rituels permettra de comprendre les formes de structuration de relations politiques bien particulières, capables d’aider dans une définition du sens dernier de l’exercice professionnel de la politique. Elles dévoileraient les actes symboliques qui légitiment de telles relations dans une société donnée, ce qui évite de reprendre le vieux débat sur l’archaïsme ou la modernité politiques. Car, comme le livre dirigé par Corbin (1994) l’avait déjà suggéré, pour qu’il y ait usages politiques de la fête, il faut bien que celle-ci existe préalablement et offre des cadres, des temps, des espaces, des symboles à cette « captation »

4 - Bibliographie
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NOTES

(1) Le Minas Gerais est l’un des 26 États de la fédération brésilienne et il se place parmi les cinq plus développés. Il est situé dans le centre du Brésil et jusqu’en 1950, d’après l’Anuário Estatístico do Brasil, c’était l’État le plus peuplé du pays et avec le plus grand nombre d’électeurs. Actuellement, sous cet aspect, il a été supplanté par l’État de São Paulo. La ville de Muriaé est située à l’est du Minas Gerais et constitue un important pôle commercial de sa région (la Zona da Mata). Selon les données de l’Instituto Brasileiro de Geografia Estatística, en 1990 la population de la municipalité comptait 84585 habitant dont 53.853 électeurs inscrits dans la liste électorale.
(2) La magistrature était pendant le deuxième Empire (1842-1889) dépendante du ministre de la Justice, par un pouvoir de nomination qui rendait la filiation à un parti une condition essentielle à une postérieur ascension, aussi bien dans la magistrature que dans la carrière politique. Dans la magistrature, Antonio Augusto a atteint le poste le plus haut, celui de desembargador, titre par lequel il est resté connu. Dans la politique, il a été élu député à l’Assemblée Générale de l’Empire en 1862, où il a représenté les conservateurs jusqu’à sa mort en 1886.
(3) Entretien avec Pio Canêdo – 20/07/1986. Entre autres postes, Pio Canêdo a occupé celui de maire de Muriaé, il a été député durant plusieurs législatures, secrétaire de l’intérieur et de la Sécurité Public de l’État de Minas Gerais, secrétaire de l’agriculture de l’État de Minas Gerais, un des fondateurs et chefs du PSD (Partido Social-Democrático), vice-gouverneur du Minas Gerais (1965-1970), vice-président de la Banque de l’État du Minas Gerais, directeur, et un des fondateurs de la fondation João Pinheiro, organisme voué aux études et projets macro-économiques du Minas Gerais depuis 1969.
(4) En 1962, la différence entre le candidat vainqueur et le candidat battu ne fut que de 3,3%. Les votes blancs et nuls ne dépassaient pas 2,65% (il convient de rappeler, toutefois, que le vote est obligatoire au Brésil). Lors des élections de 1976 cette différence était de 7,36%, tandis que les partis ayant un programme idéologique n’atteignaient que 2,105 des votes. Alors les votes blancs et nuls comptaient 8,8% des voix. En 1982, la différence entre les deux factions était de 3,63% et 3,01% en 1988. Ce n’est qu’à partir de 1992 que l’on peut observer une croissance du PT (Parti des Travailleurs), disposant d’un programme idéologique, lequel a obtenu 8,01% des voix. Source : registro do Cartório Eleitoral – Muriaé, Minas Gerais.
(5) Benedito Nunes, décembre 1988.
(6) Durant la période de 1842-70 de l’Empire, seulement deux partis politiques agissaient au Brésil. Pendant la Velha República (1889-1930), chaque État de la fédération avait son parti politique officiel (PRP – Parti Républicain Paulista ; PRM – Parti Républicain Mineiro, etc.). En 1945, la quatrième constitution brésilienne a permis la création d’autres partis. Les données d’Otávio Dulci, « Minas não há mais ? », I Seminário de Economia Mineira, Diamantina, 1982, Belo Horizonte, CEDEPLAR, 1986, montrent cependant, que lors des élections mineiras de 1945 à 1962, 805 des votes en moyenne allaient aux trois partis politiques conservateurs : PSD,UDN e PR. Les 20% restants étaient repartis entre tous les petits partis. En 1965 tous les partis ont été abolis par le gouvernement militaire, permettant seulement l’existence de deux partis à nouveau, ce qui, selon l’expression de Dulci, a signifié une « réalisation de la réalité ». A la fin des années 80, la légalisation des partis politiques n’a cependant pas changé la lutte bipolaire dans la plupart des anciennes municipalités.
(7) Entretien avec José Canêdo, juillet 1994. L’image des mannequins de cortège qui habillaient les hommes lors de fêtes du Carnaval est ici évoquée pour signifier que les hommes politiques de ce groupe se reproduisent dans la politique en se cachant sous le sigle d’un parti, ce qui les fait exister comme des « vrais » hommes politiques.
(8) Les ouvrages de mémoires sont riches en cet aspect. C’est le cas des six volumes qui composent les mémoires de Pedro Nava et les entretiens avec des hommes politiques, qui utilisent les techniques de l’histoire orale.
(9) Eduardo Azeredo a été élu en 1994 par les filières de gauche sous l’image d’un homme politique moderne, détenteur de toutes les capacités exigées par la politique contemporaine (compétence technique en économie, gestion, informatique, etc.). Cependant il appartient à une traditionnelle famille d’hommes politiques venant de la Première République (1889-1930) et a été ostensiblement soutenu pendant la campagne par les anciennes familles mineiras de différents partis politiques qui détiennent, encore, les votes de l’État à travers les échanges de faveurs et services.
(10) Pendant la période républicaine 17 présidents de la République ont été élus, dont 5 ont eu la carrière politique construite à São Paulo, 3 à Rio de Janeiro (pourtant capitale de la République de 1889 à 1960), 1 dans la Paraíba, 1 dans le Rio Grande do Sul et 1 dans l’Alagoas.
(11) Vereador – conseiller municipal élu.
(12) Selon Halbwachs (1976), aucune mémoire ne peut exister en dehors d’une référence à un cadre spatial socialement déterminé.
(13) La ville a été émancipée le 16 mai 1855.
(14) Entretien avec Gilberto Canêdo de Magalhães, février 1988. Gilberto appartient à une branche éloignée de la famille qui s’est transféré à Rio de Janeiro au début du siècle.
(15) Entretien avec Christiano Canêdo, ancien maire de la ville (1988-1992), nov. 1994.
(16) Copie de l’invitation reçue par l’auteur lors de son séjour en France.
(17) Entretien Consolação Freitas Canêdo, 3 nov. 1994.
(18) Entretien Maria Rosaria Eudoxia Canêdo Miranda, 18 juillet 1994.
(19) Entretien avec José Canêdo, juillet 1994.
(20) A propos de la preuve du domicile pour l’inscription dans les listes électorales (loi du 5 Avril 1884, pour Paris), Offerlé(1995, 5-6),écrit : « D'un côté l'inscription implique un attachement au double sens matériel (habiter) et symbolique (s'identifier à) qui doit d’ailleurs se retrouver dans l'accomplissement même de l'acte de voter se déroulant sous l'inspiration du milieu où il vit. ».[...] Le rattachement à citoyenneté civique nationale passera par l’attachement à la citoyenneté locale. L’identification à cette communauté « imaginée »(CBf. Anderson) qu’est la nation se fera contre et par le canal d’une localisation où se construit le rapport à la politique et aux politiques publiques, où se manifeste la citoyenneté dans ses usages, où se fait l’apprentissage de l’intérêt à être français ».
(20) Au Brésil le vote est obligatoire et il n’existe pas de vote par correspondance. C’est pourquoi on est obliger de « justifier » son absence du lieu de votation dans un bureau de da poste. La copie du formulaire y rempli doit être présenté par la suite au juge électoral de la ville où l’électeur est inscrit.

Les listes électorales et le processus de nationalisation de la citoyenneté au Brésil (1822-1945)

Publicado em Raffaele Romanelli, How Did They Become Voters? London: Aspen Publishers, 1998.

Le Brésil s'est formé à l'envers, il a commencé par la fin. Il a eu une Couronne avant d'avoir un peuple. Il a eu des écoles supérieurs avant d'avoir de l'alphabétisme. Il a eu des banques avant d'avoir une économie. Il a eu des salons avant d'avoir une éducation populaire. Il a eu des artistes avant d'avoir les Arts. Il a eu un concept extérieur avant d'avoir une conscience intérieure. Il a tout commencé par la fin.
(Alceu Amoroso Lima)


Je commencerai cet exposé par la convocation des élections pour la première Assemblée Constituante brésilienne, qui a eu lieu trois mois avant que le Brésil devienne indépendant du Portugal (septembre 1822). L'indépendance a été proclamée par le fils du Roi regnant du Portugal ce qui a transformé le Brésil en un grand empire.
Je ne veux pas faire croire, avec cette date, que tout a débuté par là, d'autant plus que, selon le penseur brésilien Alceu Amoroso Lima, au Brésil « tout s'est formé à l'envers. La Constituante elle-même avait été convoquée avant l'indépendance. La date a été choisie parce qu'elle met en évidence ce qui attirait l'attention des hommes politiques en ce qui concernait la construction de l'Etat National brésilien. Dans ce sens, je pense que la détermination de cette date me permettra d'exposer à des européens certaines des caractéristiques du processus de construction du corps électoral du Brésil.
La première inquiétude de ces hommes était liée à l'organisation administrative de l'Etat, qui devrait être capable de souder politiquement l’immense archipel socio-économique brésilien. La deuxième s'attachait aux mesures prises pour l'institutionnalisation de la citoyenneté dans un pays dont la réalité coloniale limitait les expériences électorales au niveau local. Ces deux problèmes s'ajoutaient à la peur que les élites avaient de faire face à des aventuriers - ou des éventuels caudillos - capables de démembrer l'Empire en maintes républiques, comme cela se passait dans la voisine Amérique Espagnole.
Fascinées par les modèles politiques extérieurs et attachées aux théories d'origine française, les élites chargées de la construction de l'Empire ont tenté de résoudre ces problèmes à l'aide d'une abondante législation. Dans le cas de la formation de la nation - et la conséquente définition de la citoyenneté -, ils ont cherché à concilier notre réalité avec les modèles observés dans des pays dont le système politique était mieux organisé, car plus expérimenté. Euclides da Cunha, un grand écrivain brésilien, parlait ainsi du Brésil comme d'un exemple unique de pays créé à partir d'une théorie politique[1].
Je n'ai pas l'intention de passer systématiquement en revue cette abondante législation. Cela donnerait une vision idéalisée des successives étapes légales menant au suffrage universel. Au contraire, je préfère me tenir à l'histoire irrégulière et difficile du travail politique et social nécessaire à l'adaptation de ces législations à une réalité aussi distincte que possible de l'européenne.
La première distinction concernait la population à qui les lois s'adressaient initialement. La population qui habitait le vaste territoire américain de colonisation portugaise était assez hétérogène. Il y avait des hommes libres et des esclaves, des hommes d'ascendance européenne et d'autres d'origine africaine, sans parler des indigènes. L'élite blanche prenait les sociétés européennes en modèle et songeait à créer un pays à leur image, tandis que les esclaves en fugue organisaient des quilombos, où ils cherchaient à rétablir les communautés africaines. La définition même de ce qui était effectivement brésilien n'était pas facile à établir. La question se posait même de savoir si le brésilien serait le portugais ou l'étranger qui s'était établi dans le pays. Mais il y avait encore ceux qui étaient nés au Brésil. Brasiliano serait l'indigène[2] ? Les noirs nés au Brésil éteint simplement appelés crioulos, afin de les différencier de tous les blancs du pays. En réalité, « il y avait un pays appelé le Brésil, mais il n'y avait aucunement des brésiliens », comme l'a écrit Saint Hilaire, qui avait longuement voyagé dans le Brésil dans la première moitié du XIX siècle.
Ainsi, le premier obstacle à s'être interposé au projet des élites de garder l'unité de la nation se centrait sur la formation même de l'idée de citoyenneté juridique. Cette idée ne pourrait se constituer si le développement d'autres aspects de la citoyenneté ne se faisait parallèlement. C'est à dire, il était nécessaire avant tout d'avoir la conscience d'être brésilien, de s'intéresser à être brésilien et d'avoir le sentiment d'être brésilien.
Or, l'Etat est le producteur des identités sociales et des techniques rationnelles d'identification standardisée. Il s'ensuit l'intérêt de l'élite gouvernementale à faire progresser les lois et l'efficacité de l'Etat. Elle en a tenté en suivant la célèbre formule de l'Etat patrimonial portugais, créant la réalité initialement sur papier, sous les directives du légiste, qui appartenait à une couche longuement préparée à l'ascension sociale et politique[3]. Suivant le même principe, cette élite bureaucratique a essayé d'ordonner la population, définissant, sur le papier encore, quelles seraient les personnes capables de donner une expression unitaire aux divers intérêts dispersés irrégulièrement dans cet immense espace.
Dans ce territoire dont 8 500 Km. de côtes étaient tournées ver l'Europe, se trouvait la deuxième difficulté au projet initial des élites. A cause de l'héritage portugais, les noyaux d'habitation étaient bien des fois plus près de l'Europe que les uns des autres. Car il n'y avait pas des moyens de communication, non seulement entre les administrations régionales, mais non plus entre les Chambres Municipales. Ces administrations ont toujours communiqué directement avec Lisbonne et ont marqué, de manière ineffaçable, certaines caractéristiques patrimonialistes sur le Brésil indépendant, laissant une distinction entre la règle générale et son application effective par le fonctionnaire[4].
Le troisième obstacle se trouvait dans l'organisation sociale. Elle était incompatible avec l'idée de l'individualité des citoyens, car la colonisation portugaise n'avait pas crée que des colonisateurs et des esclaves. Il y avait aussi une masse d'hommes libres et pauvres (résidents, filleuls, protégés...) qui, la plus part du temps, se rattachait aux familles de propriétaires de terre, par des liens extra familiaux ou par des échanges de service. Les hommes libres qui habitaient les villes cherchaient à faire de la fonction publique une vocation. Il en résultait un nombre excessif de fonctionnaires qui, avec leurs bas salaires, devenaient les serviteurs de la haute bureaucratie de l’Etat, « sous une dépendance qui ne détruisait le caractère que des plus forts »[5]. Dans une société esclavagiste, qui ne offrait pas des alternatives économiques à la population libre, le seul moyen d'avoir accès à la vie sociale et à ses biens était l'échange de prestation de services. C'était le seul moyen que ces hommes avaient de se considérer comme des pareils. Comment faire pour qu'ils reconnaissent leur autonomie individuelle ? Comment les politiser ? Comment nationaliser les votes ?
Ces problèmes ont peuplé l'esprit des élites gouvernementales et des hommes politique qui ont discuté à l'Assemblée diverses reformes électorales. Souvent d'une manière préoccupante.
Ceci étant, je dois préciser que mon intention en cet exposé est de :
1 - Décrire le travail politique et social de la délimitation de la catégorie de citoyen, de la formation et du rôle de cette catégorie, dans une société où l'égalitarisme se conjuguait avec des identités collectives et des structures patrimonialistes ;
2 - Vérifier comment il s'est créé au Brésil la disposition pour la formation d'un corps électoral neutre ; comment on a fait sortir de presque nulle part des gens disposés à accorder de l'intérêt aux élections.
Dans ce but, je me concentrerai sur l'histoire de la production des règles qui ont régit la formation des listes électorales.


LES LISTES ELECTORALES ET LA QUALIFICATION DE L’ELECTEUR

L’opération de formation d’un corps électoral implique le registre sur une liste officielle de ceux qui peuvent voter dans les principes rationnels standardisés. C’est à dire, déterminer qui peut et qui ne peut pas être considéré comme citoyen. Dans ce sens, l’histoire de la formation de ces listes est intéressante car elle permet une meilleure compréhention des transactions qui mènent à l’imposition des restrictions à la citoyenneté. Mais pas seulement ceci. Cette histoire permet aussi d’accompagner la construction de l’Etat bureaucratique avec son apparat qui organise les élections, classifie les électeurs et les candidats, et provoque les tensions entre ceux intéressés à atteindre une certaine autorité sur la population[6].
Partant de cette idée, j’essaierai de montrer la formation du corps électoral au Brésil comme une construction parallèle à celle de l'institution politique. Et je le ferai en considérant que les diverses règles nationales qui réglementent le registre officiel du citoyen dépendent, dans son application, de ceux qui ont le contrôle politique sur le processus d’inscription de l’électeur, ce qui est fait localement. En d’autres mots, une liste électorale, selon M. Offerlé, est toujours le résultat de trois logiques partiellement contradictoires : la bureaucratique (définition juridique de celui qui a le droit), la politique (qui est responsable des listes électorales et de l’inscription de l’électeur ?) et la communautaire (la reconnaissance de la personne comme faisant partie de la communauté). Ce qui nous mène à considérer, à partir des listes, que l’Etat - même au Brésil où son apparat est grand, multifonctionnel et a précédé, historiquement, les groupes d’intérêt autonomes et articulés - demeure une relation sociale mise en oeuvre par les agents qui le font exister. D’où mon insistance en vouloir exposer l’histoire de l’imposition des règles nationales pour la formation des listes électorales parallèlement aux transactions qui constituent le travail quotidien de l'institution politique et non comme une histoire des étapes légales s’acheminant vers le suffrage universel, ou comme des formes progressives de réduction des fraudes pour arriver à une transparence électorale.[g1]


LA CONSTRUCTION DES LISTES ELECTORALES DANS LE BRESIL IMPERIAL

Les bases du système électoral qui réglementaient qui pouvait être électeur ou candidat ont été fixées au Brésil par les instructions du 26/3/1824, un statut octroyé par le gouvernement qui a dominé, avec des modifications secondaires, presque tout l’Empire, de 1824 jusqu’en 1881.
D’après ces instructions, les élections étaient régies selon les règles du suffrage à deux degrés. Le système se composait de deux entités d’électeurs : les votants - ceux qui participaient de l’élection de premier degré -, et les électeurs - ceux qui participaient de l’élection secondaire. Les citoyens actifs, c’est à dire, les votants, distinction qui a été retiré de la constitution française de 1791, choisissaient, dans des assemblées paroissiales, les électeurs de province. Les électeurs de province, en possession du jus civitas du droit romain, choisissaient les députés et les sénateurs (pour ces derniers, il s’agissait du choix d’un nom issu d’une triple-liste à être remise à l’empereur). Avaient le droit de voter tous ceux nés au Brésil, ainsi que les étrangers naturalisés et âgés de plus de 25 ans, les officiers militaires âgés de plus de 21 ans et les bachareis[7] et prêtres de n’importe quel âge. Etaient exclus les fils de famille vivants chez leurs parents, sauf quand ils étaient fonctionnaires de l’administration publique, les esclaves (qui n’apparaissaient même pas dans la constitution), les femmes (qui n’étaient pas ainsi nommées dans la constitution) e ceux qui ne possédaient pas de revenu liquide annuel équivalent à 100 000 réis.
La somme ci-dessus qui, dans le texte de la loi, qualifiait le votant, n’était pas très importante à l’époque. En outre, il n’y avait pas de règles pour prouver son revenu. Les votants constituaient donc une immense couche d’hommes pauvres qui accouraient aux élections, recrutés par leurs parrains. Dans ce sens, les restrictions à la citoyenneté, même venues « de la vénérable Constitution » étaient « complètement annulées dans la pratique », comme a dit un député à la Chambre[8]. Selon lui, dans les élections à deux degrés « il y a toujours eu un véritable suffrage universel ».
Il y a une certaine exagération dans les paroles du député. Mais elle sont basées sur le fait que, jusqu’en 1881, les listes électorales n’étaient pas permanentes, ce qui éclaircit la préoccupation prioritaire des élites avec la survie de l’unité politique du pays, bien plus qu’avec la formation de la nation ou la définition de citoyenneté. Le registre officiel du citoyen était fait localement, à chaque élection par un bureau électoral, à qui le décret de 1824 a octroyé un pouvoir illimité. Ce bureau était chargé de décider sur la compétence des votants, de déterminer le début et la fin de la votation, de lister le nombre d’électeurs de la paroisse où il fonctionnait, et finalement de dépouiller le scrutin. Ce n’était pas sans raison qu’on disait que « formé le bureau, l’élection était faite ».

Le scandale arrive à un tel point qu’il est déjà admis comme principe incontestable que, dès que les bureaux paroissiaux sont constitués, est considérée faite l’élection des représentants de la nation ; et, ce principe étant établi, il n’y a pas d’abus, pas d'attentat, pas de crime que les partis déferlés ne commettent pour installer aux bureaux les hommes de leur faction[9].

Le bureau de vote était formé le jour même de l’élection ainsi que la liste électorale. L’élection se réalisait dans l’église[10], la votation étant précédée et suivie par des cérimonies réligieuses obligatoires. On cherchait à produire un caractère sacré à l’évennement civique. Le paroissien et le Juiz de Fora (représentant du pouvoir central) proposaient à la population réunie dans l’église, quatre citoyens pour les postes de secrétaires et scrutateurs. Si approuvés par acclamation, ils formeraient, avec le paroissien et le Juiz de Fora, le bureau de vote. L’identité du votant était décidé par ce bureau :

Pedro est inscrit ; mais est-ce le vrai Pedro qualifié cet individu inconnu qui est lá présent avec un bulletin de vote dans la main ? Ceux qui composent le bureau de vote ne le connaissent pas, de meme que la plupart des personnes autour. Cependant, l'assesseur qui lui a donné le bulletin de vote déclare que c’est lui, Pedro. Le bureau de vote étant composé de partisans de l’assesseur, appuient son affirmation, les autres la contestent (...). Justement les invisibles, les fósforos, en argot électoral, sont les plus rusés à répondre conformement aux exigences de l’inscription dans la liste : 30 ans, marié, charpentier, etc... . La majorité du bureau décide : c’est fini ; il n’y a pas et il ne peut pas y avoir recours. Dans d’autres cas, Pedro est connu, c’est le vrai Pedro de l’inscription. Cependant on lui refuse l’identité ; Pedro se trompe, se sent intimidé par les cris ; son vote est alors rejeté[11].

Les rejets et les approbations menaient toujours à des disputes, au tumulte, à la criaillerie, à la violence. Pas même l’enceinte sacrée de l’église empechait l’enthousiasmecivique. A un tel point, que les curés devaient retirer les images des temples pour éviter que’elles ne servissent comme des armes. Ceci étant, le processus permettait la domination des élections par les grands propriétaires les plus puissants. Jusqu’en 1842 ils étaient les seuls à pouvoir garantir l’existence du votant, ainsi que de mettre un frein à la violence. Les Chambres Législatives ne jouissaient pas encore de prestige, car leur signification était méconnue[12].
Le suivi des élections jusqu’en 1842 permet ainsi d'observer la difficulté existante au long du travail d'étatisation et d’abstraction qu’implique le dépouillement des hommes de leurs marques sociales et régionales. Les élections secondaires, en particulier, sont un exemple dans ce sens, principalement quand vues à travers la figure ambivalente du Président de Province. Dans ses mains étaient les électeurs issus des artificielles élections primaires car il était le responsable politique de l'authenticité des listes. En outre, c’était lui qui indiquait, en dernière instance, l’élu. Ce dernier mot le Président de Province donnait à ceux qui obtenaient de l’influence politique au-delà des municipalités, dans une tentative de renforcer le régionalisme.
Cette procédure était rendue facile par le système de votation, selon lequel chaque électeur devrait voter pour autant de noms que le nombre de députés qui seraient élus (38, 20, ou 36, selon le nombre de députés qui composaient l’Assemblée de sa Province). Ceci empêchait les petits coronéis, avec une influence limitée à une localité, de dominer l'institution. Seulement ceux capables d’obtenir des votes dans des divers points de la province arriveraient à être élus et indiqués par le Président de la Province[13].


FAIRE LES LISTES EN METTANT LA FRAUDE AU SERVICE DE LA COUR

Il était du moins difficile, dans ces conditions, la construction d’un Etat national. Auparavant il faudrait discipliner les factions locales et régionales. Le problème était complexe. De 1831 à 1835 (période de la régence), les troubles se sont étendus aux provinces. L’armée était faiblement constituée. Parmi ses officiers, il y avait beaucoup d’étrangers (français, allemands, des marins anglais, tous ayant affaire à la justice de leurs pays et engagés comme mercenaires). Entre 1835 et 1840, le pays a été ébranlé par des tentatives séparatistes dans les Etats du Para, du Maranhão, de Peranmbuco, de Bahia et Rio Grande do Sul. La réorganisation de l’armée a permis la répression des mouvements et la garantie de l’unité national.
Le succès de la répression des révoltes provinciales et des tentatives séparatistes a permis un premier pas : la structuration de deux partis nationaux, à partir de 1836 (Conservateur et Libéral). La création des deux partis a empeché la reprise des conflits qui, dans la plus part des cas, tournaient autour d’interêts locaux, représentés par des multiples factions. L’alternance de deux partis dans le pouvoir a permis le lent apprentissage de la pascience politique : l’arrivée au pouvoir était une simple question de temps et d’habilité. Il n’y avait plus la peur d’avoir un échange interminable de factions locales dans le pouvoir.
Mais le processus de centralisation a eu pour sommet la Loi de l'Interprétation du Code du Procès Criminel (1841), qui s’est encastré dans les nouvelles instructions électorales de 1842.
La Loi de l'Interprétations du Code, selon l’expression célèbre d’un député libéral, a centralisé l’Empire « dans les mains du Ministre de la Justice, généralissime de la Police, en lui donnant pour agents une armée de fonctionnaires hiérarchisés, depuis le Président de Province et le chef de police jusqu’à l’inspecteur de quartier[14] ».
Je m’explique : la loi de 1841 a créé dans la municipalité de la Cour un chef de police ayant sous son autorité des commissaires et sous-commmissaires, tous nommés par l’Empereur et sous le contrôle du Ministre de la Justice. Elle a créé aussi une magistrature professionnelle nommée par le gouvernement central et donc dépendante de lui. Ceci donnait au Ministère de la Justice le contrôle fondamental sur ses représentants judiciaires. Le mécanisme de manipulation se faisait au moyen de substitutions périodiques, une sorte de contredanse des juges[15].
L’application avec laquelle un juge servait le Ministère était un point déterminant pour l’obtention de meilleurs postes. En d’autres termes, un juge, arrivé à son poste, administrait la vengeance privée comme un contrôle social. Il le faisait au moyen de règles codifiées et centralisées au Ministère de la Justice.
La lettre ci-dessous, écrite par un juge de droit de la ville de São Paulo do Muriahe et dirigée au Ministre de la Justice, en est une parmi d’autres capables d’éclaircir le réseau de fonctionnaires locaux liés au gouvernement central :

J’ai l’honneur de recevoir cette chère lettre confidentielle que vous m’avez adressée, me demandant d'indiquer les citoyens que je jugerais aptes à occuper des postes de Remplaçants de Juges municipaux des Termos de ce Canton. Pour vous satisfaire, je vous envoie ci-joint les listes car, au delà de la....... (incompréhensible) à Termo de ce Canton, elles comportent aussi le Terme de Barbacena et de Rio Novo, dont les nominations sont de mon intérêt.
Quant aux Termos de ce canton, Vous vous souviendrez que je vous ai à plusieurs reprises demandé d’accueillir ma proposition car je m’affairais aux nominations de certains de mes amis. Maintenant que je vous envoie les noms, je vous demande de choisir parmi eux les nommés. Au même temps que j’insiste de façon véhémente pour que, en aucun cas vous nommiez, pour aucun poste local que ce soit, le portugais naturalisé (...). Sa nomination impliquerait un affront pour moi et me causerait une profonde déception(...).
Je suis fils de Barbacena. Toute ma famille et mes propriétés y sont. E t je m’intéresse au (incompréhensible) de ce lieu. Ceci étant, je m’engage auprès de vous pour les nominations de ce Termo. Les premiers proposés sont des parents à moi (...) etc...[16].

D’après cette lettre, on voit que le Code cherchait à atteindre deux objectifs de conciliation difficile : discipliner le pouvoir local et, en même temps, utiliser en sa faveur la force du pouvoir privé, recruté selon les liens de parenté.
A partir de la loi électorale de 1842, les commandements locaux ont été remplacés par des groupes d’employés de l’administration publique ou par des aspirants à des postes dans l’administration. De cette manière, le bureau d’inscription a commencé à favoriser seulement l’élection des candidats en harmonie avec le ministère du moment. C’est à dire, on ne s’inquiétait pas des fraudes, mais plutôt on les mettait au service de la Cour.
L’idée était donc que la vigilance se substitue au désordre dans les paroisses car le corps électoral demeurait instable. A partir de 1881 les listes electorales deviennent permanentes. A la tête de la coordination du bon fonctionnement des élections restait le Président de la Province, fonctionnaire clef qui rendait possible les accords entre les parts dans les disputes entre grands propriétaires.
Or, le Président de la Province était nommé par l’autorité centrale et était responsable uniquement vis à vis de la Couronne. Selon une pratique patrimoniale typique, il était la plupart du temps nommé pour une province distincte de sa province d’origine et, à nouveau de forme très caractéristique, pour une période très courte (une durée moyenne de six mois). S’il voulait avoir une carrière prometteuse qui le mènerait au Sénat, il ne fallait pas qu’il s’identifie avec l’esprit régional des circonscriptions qu’il gouvernait[17]. Cette situation apparaît très clairement quand on regarde de plus près les chiffres de l’enquête faite par Francisco Iglésias à propos des présidents qui ont gouverné les Provinces de l’Empire : L’Etat de Minas Gerais a eu 59 présidents, l’Etat de Alagoas 61, l’Etat de Pernambuco 59 « et les autres provinces un grand nombre d’autorités »[18].
Les plaintes de Batista, personnage du célèbre roman du dernier siècle, Esaú e Jacó, aide à la compréhension de la centralisation du pouvoir. Batista, un ex-président de province tombé en disgrâce à la Cour, raconte comment, malgré ses efforts, il a finit dans l’ostracisme :

Je ne sais pas ce qu’elle voulait que je fasse encore, disait Batista en parlant au ministre. J’ai protégé les églises ; aucun de mes amis qui m’ait demandé l’aide de la police est resté sans réponse ; j’ai fait des procès contre une vingtaine de personnes, d’autres ont été arrêtées sans procès. Est-ce que j’aurais du pendre quelqu’un ?. Malgré tout ça, il y a eu deux morts à Ribeirão das Moças[19].

Mais celui qui décrit le mieux la réalisation des élections, avec ses tensions, dans le cadre de la réforme électorale de 1842 c’est Francisco Lisboa, dans une satire d’une des élections réalisées dans la Province du Maranhão. Il les a accompagnées dès la nomination et arrivée du Président de la Province, qui nommait, renvoyait et recrutait les querelleurs[20], pour former une police homogène, jusqu’au moment du rituel du vote :

L’élection devrait avoir lieu le 12 octobre et, dès le premier mois de l’année on pouvait dire que, d’un côté et de l’autre, les réunions étaient journalières et permanentes ; la ville avait pris un aspect terrifiant ; l’atmosphère semblait embrasée, et une tempête sur le point d’éclater (...). Les deux derniers jours, les membres du parti du gouvernement avaient occupé les parvis de deux églises paroissiales ; l’opposition était restée un peu plus loin. Quelques unes des maisons du voisinage avaient été d’avance louées aux deux côtés (...). Faisant de leur faiblesse une force, les opposants, qui s’étaient mis en marche depuis huit heures du matin, avaient l’allure de vouloir pénétrer dans les églises ; cependant, à la vue de deux ou trois patrouilles sur lesquelles ils étaient tombés, se sont sentis intimidés, et criaient à gorge déployée des menaces de se retirer et protester solennellement contre l’absence de liberté de vote, quand un groupe d’émeutiers contraire, impatient avec les retards et cérémonies, leur tomba dessus et les chassa sur le champ (...).
Le parti vainqueur, qui avait concentré ses forces sur une seule localité, ordonna l’occupation de la Sé (église siège), jusqu’à ce moment complètement abandonnée (...). En peu de temps, deux guirlandes de feux d’artifice annoncèrent que les bureaux étaient formés (...). Dès le deuxième jour, les nouvelle de l’arrière pays commencèrent à arriver ; partout le gouvernement avait triomphé. L’opposition fuit sans autre gêne que deux ou trois têtes cassées[21].

Le Cabinet, connu comme celui de la Conciliation (1853-1855), a voulu corriger ce que les députés de l’opposition dans la Chambre appelaient « les maux de l’influence du gouvernement sur les élections ». Pour ce faire, on a decoupe les provinces en circonscriptions electorales, les districts, qui elisaient chacun un depute, ce qui consistait a interdire aux fonctionnaires et, en particulier, les magistrats, de se presenter aux elections. L’interdiction touchait les présidents et les secrétaires des provinces, les commandants d’armes, les juges de droit, les juges municipaux, les commissaires de police, etc… Donc, comme il a été observé par un visiteur étranger bien surpris, « au Brésil, les représentants de la Nation étaient au même temps ceux de l’Etat et les fiscaux du gouvernement, ses propres fonctionnaires[22] ».
Le vote au niveau des districts (Décret n. 842 du 19.09.1855, connu comme la loi des Cercles) avait pour but la rupture de la structure monolithique des grandes formations politiques provinciales et de rendre plus fortes les factions locales, mais sans toucher à la question de la citoyenneté. Le registre officiel du citoyen pour les statistiques (avoir le droit) demeurait en contradiction avec la logique politique (qui serait le responsable pour les listes ?), et encore plus avec la logique communautaire (qui reconnaîtrait l’électeur comme faisant partie de la communauté ?).
Seulement en des termes idéaux, on a envisagé l’hypothèse que, dans un petit district, le recrutement et la pression policière seraient inefficaces face a un enrôlement électoral politiquement correct et l'expression de la souveraineté populaire.
La seule élection de 1853 a été réalisée selon la circonscription d’un député par district et a mené la première grande rénovation de la Chambre. On a élu en grand nombre des prêtres et des membres des professions libérales, tous inconnus sur le plan national. L’élection a mis en évidence le danger de la perte de la domination de l'élite nationale sur les chefs locaux perdus dans tout le territoire, avec la première fêlure dans l’oeuvre de construction nationale : « Tout notre cercle politique, jusqu’à présent très élevé, malgré notre relative petitesse comme nation, s’est sentie rabaissée » a dit un critique de la loi en voyant arriver dans la Chambre les notables du village, c’est à dire des chefs locaux « incapables de concevoir et de traiter les grands thèmes nationaux ».
L’impact symbolique causé par la substitution de la communauté nationale imaginée par la citoyenneté locale a été grand. La loi a été immédiatement modifiée.


REDEFINITION DE LA CITOYENNETE PAR LE MOYEN DES RESTRICTIONS

Le thème de la nationalisation de la citoyenneté a été plus largement discuté à partir de la moitié du 19ème siècle. D’abord dans la littérature et dans la presse[23]. Mais, au sein des institutions, le thème n’a été repris qu’à l’approche de la confrontation avec le problème de l’esclavage et de l’immigration étrangère, à la fin du 19ème siècle. Des tels problèmes impliquaient la redéfinition de la citoyenneté civique, de manière à rendre difficile l’incorporation des esclaves affranchis[24]. Une difficulté à être affrontée à l’aide des bureaux de vote qui ne devraient reconnaître que les membres de la communauté, selon le grand analyste de droit publique brésilien à l’époque de l’Empire, le Marquis de São Vicente qui a écrit : « Il est évident que la société civile ne pouvait exister sans qualifier, sans fixer au préalable les caractéristiques selon lesquelles elle reconnaîtrait les membres qui la composent et ceux qui lui sont étrangers[25] ».
Mais le chemin légal pour diminuer cette peur de l’esclave affranchi et aussi du petit peuple[26] a été la loi électorale connue comme loi Saraiva (loi n.3.029 de 1881). Elle a interdit le vote à l'illettré, a exclu l’électeur intermédiaire (votant) en instituant les élection directes et, selon ces mesures, le revenu minimum etait beacoup plus haut et devrait avoir pour base de calcul les biens de la famille, les actions industrielles, ou les activités commerciales, la déclaration fiscale, ou alors en fonction de l’exercice de certains emplois de l’administration publique ou de certaines professions comme celle de comptable, d'administrateur d’entreprises, etc...
La loi a aussi institué la carte d’électeur - inscription permanente qui permettait la participation a toutes les élections nationales - et qui pouvait être obtenu à partir de la présentation de la preuve de revenu minimum. La carte a lié l’électeur à un territoire spécifique, empêchant les errants de voter, et l’enrôlement a été entièrement confié à la magistrature, dans l’espoir de rendre le corps électoral neutre. Pour autant, les conseils paroissiaux d’inscription ont été abolis et l’enrôlement des électeurs a commencé à être préparé, à chaque election, par chaque juge municipal et définitivement organisé par les juges cantonaux.
L’effet de ces mesures, plus l’élimination du votant de premier degré, a été dramatique, comme on peut vérifier sur le tableau ci-dessous :

Participation électorale (1872 1945)

Année
Electeurs
% de la pop globale
1872
1 097 698
10,8 (13,0)*
1886
117 022
0,8
1894
290 883
2,2
1906
294 401
1,4
1922
833 270
2,9
1930
1 890 524
5,6
1945
6 200 805
13,4
* En excluant la population esclave.
Source : Murilo de Carvalho, opus cit, p.145

C’est seulement en 1945, c’est à dire 64 ans après la loi de 1881 et après quatres changements de régime - Empire (1822 - 1889), Première République (1889 - 1930) ; Deuxième République (1930 - 1937) ; Estado Novo (1937 - 1945) - on a réussi à atteindre le même nombre de votants qu’avant la loi Saraiva.
Les théoriciens ont justifié ces mesures comme étant nécessaires à la qualité du vote et à la clarté des élections. Le votant de premier degré était considéré comme l’une des principales causes de la corruption électorale car, étant illettré, il dépendait de son patron. Alors, pour faire fuir l’électorat corrompu, on a préféré restreindre le corps votant, en le réduisant de 10% de la population à 1%. « Cette souveraineté des grammairiens est une faute de syntaxe » s’est écrié un député face au mouvement d’exclusion des illettrés. « Qui est le sujet de la phrase ? N'est ce pas le peuple ? Qui est le verbe ? Qui est le patient ? Ah ! On a découvert une nouvelle règle : on n’emploie plus le sujet[27] ».
Il y a eu d’autres protestations attribuant la fraude non pas a l’absence de recours ou à l'analphabétisme, mais au système d’inscription de l’électeur « qui a toujours joui de l’autorité employée dans toutes les situations, solidifiée par les reformes électorales, pour favoriser les amis, enlever aux adversaires et à la merci du vote, nommer ou exclure des votants[28] ».
En vérité, ce qui l’a emporté dans cette loi a été l’intérêt des propriétaires de terres car le niveau de participation existant rendait le processus électoral extrêmement onéreux pour eux. Etant donné le système électoral, les propriétaires se sont vus obligés de maintenir sous leur protection un nombre considérable de votants.Travaillant sur les cartes électorales, l’historien Murilo de Carvalho a pu constater que les employés ruraux représentaient la majorité des votants en 1876[29]. Ce qu’avait déjà observé en 1860 le Ministre plénipotentiaire de la Confédération Helvétique, le baron Von Tshudi, lors de ses voyages aux Provinces de Rio de Janeiro et São Paulo :

Selon les sources statistiques brésiliennes, il y a dans tout le Brésil au tour de 200.000 individus du sexe masculin qui vivent dans les grandes propriétés, sans travail et qui sont des instruments inconditionnels de leurs protecteurs. De tels individus, les capangas sont prêts à exaucer tous les desseins de leurs maîtres et n’hésitent pas devant n’importe quel crime et à l’époque des élections servent comme agents et gardes du corps de leurs candidats : ils font des fausses déclarations et écrasent n’importe qui se mettant sur leur chemin [30].

Les lois électorales brésiliennes, dans l’expression de Murilo de Carvalho, ont introduit un élément irrationnel dans les calculs économiques des propriétaires de terres, en les obligeant pour des raisons de pouvoir et de prestige à maintenir un nombre d’individus dépendants qui dépassait de loin les besoins de production. Ceci ressemble beaucoup à ce qui a été exprimé en 1855 par un technicien engagé par le gouvernement Luis Werneck, dans un travail sur la colonisation étrangère :

Ce qui soutient aujourd’hui la petite agriculture c’est notre système électoral. Les grands propriétaires acceptent encore les agregados parce que notre système ainsi le veut. Le jour où l’élection directe sera établie entre nous, ce sera la veille d’une grande souffrance pour ceux-ci[31].

Le développement de l’offre de la citoyenneté se heurtait donc à un grand problème. D’un côté, il y avait les intérêts économiques des propriétaires de terres qui désiraient se débarrasser du poids qui représentait maintenir un immense contingent d’agregados dans leurs fermes. D’un autre côté, il y avait le désir des grands leaders nationaux de rendre possible un Etat national en disciplinant les factions locales en leur imposant des nouvelles règles pour l’enjeu politique (contrôle des listes par le judiciaire), et en excluant une partie du corps électoral dangereuse car incertaine. Le votant était :

La populace ignorante, anonyme et dépendante. Le votant est, en règle générale, analphabète ; il ne sait pas lire, et ne peut donc pas lire les journaux, il ne fréquente aucun club, ne participe à meeting, et pour cause, en matière politique, il ne connaît que son vote qui appartient, soit à M. Untel dont il dépend (bien qu’il puisse aussi parfois l’accorder par gratitude) soit à celui qui lui en offre le meilleur prix, ou qui lui donne, qui un cheval, qui un vêtement pour voter à sa paroisse [32].

Même dans les villes, loin des propriétaires de terres, la plus grande partie de la population était constituée par ces personnes incapables d'être influencées par les entrepreneurs en représentation[33], comme on voit sur le tableau ci-dessous :

Population Economiquement Active, Rio de Janeiro, 1890, 1906



1890

1906
%
Classe Haute
Banquiers
44




Capitalistes
517




Propriétaires
2267





2828
1,1


Secteurs intermédiaires
professions libérales
3395

10050


fonctionnaires
18226

28921


professions techniques
2885

---


commerce
48048

62775



72554
27,4
103746
24,4
Ouvriers
artistes
5859

---


mineurs
703

893


manufacture
48661

77450


transport
10733

22807



65956
25
101150
23,8
Prolétaires
service domestique
74785

117904


journaliers
---

29933


autres
48100

72087



122885
46,5
219924
51,8
Total

264233
100
424820
100
Sources : CENS de 1890 et de 1906. On a exclu les chômeurs et les employés agro pastoraux (1890) ; les personnes sans profession, les employés agro pastoraux, les classes improductives et les rentiers (1906).
* inclus les personnes sans profession déclarée (1890) et celles de profession inconnue ou mal définie (1906).

Au nom des idéaux européens qui justifiaient le suffrage restrictif, les leaders discutaient dans la Chambre le vote comme fonction sociale, selon la position de Stuart Mill, l’auteur qui a le plus influencé les réformateurs de 1881[34]. Comme fonction sociale et comme devoir, et non pas comme un droit naturel, le vote exigeait comme condition pour son exercice « le payement d’un impôt direct » :

La première et plus constante fonction des parlements consiste en fixer les dépenses publiques et créer des impôts pour les satisfaire. Tel est l’origine historique des parlements et, encore aujourd'hui, leur occupation la plus importante. Accorder le droit de vote, de concourir pour avoir un représentant au parlement à celui qui n’a pas contribué directement pour les dépenses publiques, qui n’a pas souffert le poids des impôts, à celui qui est indifférent à ce qu’ils s’aggravent ou qu’ils s’allègent, répugne au bon sens le plus commun[35].

Alors, l’incorporation des électeurs dans une liste permanente qui devrait être la plus grande possible, en raison de la réalité brésilienne, est devenue très petite, sans pour autant diminuer les fraudes. Selon la loi, il a été refusé le droit de citoyenneté aux pauvres (soit par le cens, soit par l'alphabétisation),aux mendiants, aux femmes, aux membres d’ordres religieuses, bref à la plus grande partie de la population. Et ce serait resté tel quel si le système de d’inscription n’avait pas inclue le citoyen sur les listes électorales sous l’inspiration du milieu où il vivait. La période républicaine est riche en informations sur les formules administratives adoptées par les autorités locales intéressées en garantir, au moyen des papiers, la présence sur les listes des électeurs avec des ressources qui les qualifiaient comme électeurs.


LES IDEAUX DE NATIONALISATION DE LA CITOYENNETE DANS LA PRATIQUE ELECTORALE REPUBLICAINE

La République, proclamée en 1889 par un mouvement uniquement développé dans la capitale par l'armée de terre - ce qui a surpris presque toutes les provinces - n’a pas innové en ce qui concernait l’égalité civique. On a aboli la restriction et le contrôle sur les revenus du citoyen mais, en échange, on a maintenu l’exclusion du droit à la citoyenneté pour l’électeur analphabète. Or, l’exclusion des analphabètes par la Constitution représentait une double discrimination car cela exemptait le gouvernement de l’obligation de fournir l’instruction primaire, ce qui était dans le texte impérial. « On exigeait pour la citoyenneté politique une qualité que seulement le droit social à l’éducation pourrait fournir et en même temps on méconnaissait ce droit », comme nous rapelle Murilo de Carvalho [36]. On avait aussi exclu de l’inscription - de façon cohérente avec l’idée de vision abstraite d’un peuple qui parlait à une seule voix, d’intégration de tous dans la volonté générale de souveraineté - ceux qui appartenaient à des communautés, religieuses par exemple, qui pouvaient etre soumis au vote d'obéissance, a une règle ou a un statut qui impliquerait dans le rennoncement a la liberté individuelle.
Pour compenser, et pour atteindre le nombre d’électeurs nécessaire au bon fonctionnement du système de représentation, la première loi électorale républicaine (loi n. 35 du 25.01.1892) a exclu l’intervention des autorités judiciaires dans l’enrôlement électoral. Le recrutement a de nouveau été préparé par des comissions sectionales. Dès lors il se faisait dans chaque municipalité par une comission municipale présidée par le Président du Gouvernement Municipal qui choisissait, aussi, avec les membres de la Chambre, les intégrants du bureau électoral. Il pouvait avoir recours quant aux décisions de la commission municipale à un conseil électoral de la capital des Etats, mais sans effet de suspension. Cela signifiait que la force de la communauté locale pouvait, par pression sur les autorités locales, élargir les exclusions politiques venues de la Constitution, ou changer leurs signification pour faire augmenter ou diminuer le nombre d’électeurs sur les listes, ou alors les changer. « L’élection n’était pas une chose méritant du respect. Ni pendant la Monarchie, ni pendant la Première République », a écrit le respecté Assis Barroso, en faisant référence à l'enrôlement fictif, incomplet ou défectueux, et aux faux registres de votes, largement connus à l’époque de la Première République[37].
Cependant, tout n’ayant pas été ainsi, il aurait été difficile de trier les électeurs car le peuple se détournait complètement de ces compétitions. Selon l’impression d’un représentant du gouvernement anglais à Rio de Janeiro, « le gros de la population ne s’intéresse pas à la politique[38] ». Il y avait une constitution qui garantissait les droits civils et politiques du citoyen, il y avait des élections, il y avait un parlement. Ce qu’il n’y avait pas c’était des électeurs en chair et en os. Le corps électoral n’existait que sur le papier.
On centrait donc les préoccupations sur le recrutement des électeurs intéressés à la politique, dans une société où 80% de la population était constituée d'analphabètes et où la présence étrangère, les immigrants, était trop forte. Or, ces étrangers ne s’intéressaient pas a la naturalisation. Sur le tableau ci-dessous, on remarquera que le grand nombre de naturalisations est dans la catégorie « autres », c’est à dire africains, grand motif de crainte pour les hommes politiques.

Option pour la nationalité brésilienne, 1890

Nationalité
Nombre
%
Allemand
530
30
Anglais
169
9
Espagnol
1 296
12
Italien
1 676
9
Français
806
20
Nord Américain
28
11
Portugais
19 675
18

24 180

Autres
6 903
51
Total
31 083
20
Source : CENS de 1890 p 236-7

Cette situation a mené un républicain radical à proposer à la commission de Réglementation et Cens Electoral la création d'agents électoraux, payés par le gouvernement pour enrôler les citoyens car, selon lui, le peuple votait pour ceux qui les enrôlaient[39].
La proposition n’a pas été acceptée, mais elle a ouvert le chemin pour que les requêtes pour l’inscription électoral puissent être rédigées et signées par l’agent lui-même. De manière que, pendant tout le processus d’enrôlement, l’électeur pouvait être qualifié sans avoir signé son nom une seule fois. Pour justifier l’enrôlement officieux, disait un député de Minas Gerais :

Dans les districts très dissémines, personne ne veut être inscrit, personne ne s’intéresse à l’inscription. Or, le politicien intéressé à l’inscription devra se rendre chez tous les électeurs pour demander les signatures pour les requêtes ; mais la plus part (des politiciens) fera les requêtes, les signera et les signatures seront reconnues. Il vaut mieux que le conseil inscrit les personnes qu’il reconnaît être dans les conditions necessaires a l’inscription plutôt que de laisser la place à la fraude[40].

Ainsi, dans la deuxième partie du processus électoral, c’est à dire le vote, les « électeurs incapables de signer » pouvaient inviter quelqu’un d’autre a signer à leur place a la feuille d’emargement, alors on pouvait voir devant les urnes une véritable épidémie de maladies des bras et des mains ; « il y avait une quantité immense d’électeurs avec les bras contre la poitrine pour cacher le fait qu’ils ne savaient ni lire ni écrire », a dénoncé le sénateur de Minas Afonso Pena en 1892.
Alors, bien que la proposition pour la création d’agents officiels ait été refusée, des agents officieux, connus comme des cabos eleitorais des candidats, ont été chargés d’obtenir l’inscription, travaillant ainsi pour l’existence de la Nation et du régime républicain. Ce travail de recrutement est raconté par un écrivain qui a aussi été député dans les années 50 :

Il faut courir après chaque électeur, les convaincre à s’inscrire, tout leur apprendre, même à copier la requête. Le manche de la bêche épaissit les mains - la hache et la faucille aussi. La besogne en est une autre. (...) Et ceux qui, en enfant, ont perdu du temps avec la lecture et l’écriture, auront vite oublié le peu qu’ils avaient appris. Lire quoi ? Ecrire quoi ? Mais maintenant il le faut : l’élection s’approche, la carted’électeur attire l’estime du patron, et on devient une personne [41].

Devenir une personne, c’était une aspiration qu’un bon travail d’enrôlement pouvait offrir. Devenir une personne, pas un citoyen. Ceci était difficile, exigeait du temps, poursuit l’auteur du roman :

D’abord la conversation patiente qui préparait le terrain ; la lute, après : - ‘Ça va mal mes yeux. Et depuis quelque temps je tremble tellement que mes mains n’arrêtent plus de bouger...’ Le nouveau transpire (...). Histoire d’attendre que la peur de la plume passe. Si facile... - La requête était déjà prête, un brouillon fait sur du papier, au crayon fin, facile à effacer : ‘João Francisco de Oliveira, soussigné, brésilien, résident... ‘Après le dîner, moins fatigué, João Francisco essaie à nouveau. La femme est à côté, les enfants aussi. Le paysan se lave les mains, la lampe brûle fort avec une mèche neuve. Il s’y remet : ‘- Tu fait de l’ombre, petit ! Apporte-moi un verre d’eau, Cota. Quel... mes yeux ne vont vraiment plus. C’est bête d’essayer de terminer... Allons nous reposer un peu : il manque encore le Francisco, il manque l’Olivera... C’est pas facile, alors, ça prend du temps.’ Mais petit à petit João Francisco apprend à détendre la main et découvre qu’il ne faut pas autant de force. Il ne trempe plus le papier de avec sa sueur.

Et c’est comme ça, en apprenant le métier de citoyen et le degré de réalité des élections, qu’on a commencé a inscrire les citoyens sur les listes électorales. Une autre manière aurait rendu difficile tout le processus, non seulement par la précaire nationalisation des institutions[42], mais aussi par la contradiction entre les idéals de nationalisation de la citoyenneté imposés par la constitution républicaine de 1891 et l’exercice de cette citoyenneté.
En 1932, après le coup d'état de 30, un décret (n. 21076) a créé le Code Electoral qui a institutionalisé la Justice Electorale (composée d’un Tribunal Supérieur et des Tribunaux Régionaux dans les Etats et des juges électoraux dans les cantons). C’est à dire, on a essayé à nouveau de séparer le politique de l’administration technique, en donnant à une justice spéciale le droit de surveiller tout le processus électoral.
Or, ce coup d'état connu comme la Révolution de 30 a eu comme l’un de ses principes la réforme électorale, face à la clameur pour la moralisation venue de la classe moyenne de São Paulo - l’Etat le plus riche d’entre tous de la fédération brésilienne. La réforme a été faite mais le problème principal est resté le même : où trouver des électeurs intéressés pour faire partie de la liste électorale et donner une existence statistique aux élections ? Il s’agit là particulièrement des électeurs de la capital, car à l’arrière pays ils apparaissaient par les mains magiques des propriétaires ruraux, avec leurs enfants, des collatéraux, des filleuls, des compères et des agregados, c'est à dire, tous les protégés qui lui reconnaissaient autorité et dont le vote et le respect leur était cher dans une transaction qui maintenait les élections.
La solution trouvée a été l’inscription ex officio. D’après le Code de 1932, on devait inscrirer ex officio les fonctionnaires de l’administration publique, les professeurs du public, les professionnels libéraux avec diplôme de lycée, les commerçants avec registre. Quinze jours avant l’ouverture des inscriptions, les chefs des administrations publiques, civiles ou militaires, les directeurs d’école, les chefs des établissements où on registrait les diplômes étaient obligés à fournir au juge électoral les listes de tous les citoyens qualifiables ex officio.
La loi électorale a inclu les femmes et a institué le vote secret et proportionnel. L'analphabète demeurait exclu du système.
Suivant ce code on a réalisé les élections de députés pour l'Assemblée Nationale Constituante (1934) et celle de la première et unique législature (1935-1937) après la Constitution de 1934. Lors de cette dernière élection, une partie des députés a été élue par les associations professionnelles, comprises en quatre divisions : agriculture et élevage, industrie, commerce et transport, professions libérales et fonctionnaires de l’administration publique. L’autre partie a été élue par les mêmes machines oligarchiques, dont le pouvoir essentiel était dans les transactions réalisées auprès de l’électorat rural.
Cette période a été courte car, en 1937 un autre coup d'état a instauré une fois pour toutes un régime corporatiste. Le nouveau régime (Estado Novo), qui a apporté des changements irréversibles aux institutions de la vie politique et de l’administration publique, s’opposait à l’individualisme introduit dans les lois par les élites européanisées qui défendaient la tradition ibérique patrimonialiste. L’idée qui prévalait pendant la durée de l’Estado Novo, était celle de transformer l’Etat en une sorte de pédagogue chargé d’éduquer la population pour qu’elle participe à la politique nationale. L’aprentissage de la citoyenneté devrait passer par une société nationale coopérative, et le corporativisme en serait le moyen. L’Estado Novo n’a pas consacré que l’étatisme, mais aussi le nationalisme, en unifiant la culture, les codes juridiques et linguistiques (interdiction de fonctionnement pour les écoles étrangères des immigrants) et les formes de communication bureaucratiques (formulaires, imprimés, concours pour l’administration publique), sans parler des procédures pour l’unification des structures scolaires.
L’unification administrative, juridique, politique et culturelle menée par l’Estado Novo a permis, pendant la période appelée de redémocratisation, commencée en 1945, l’introduction du vote obligatoire, sous contrôle de la Justice Electorale centralisée.
La nationalisation du vote a impliqué un retour de son apprentissage. Ce retour a rendu plus intense la transaction entre l’électeur (obligé de voter), et le candidat qui, à son tour, avait besoin du vote. Des discours, des visites, des amitiés et des nominations sont devenus les principaux instruments pour la réalisation des élections, et une condition pour apprendre à être un citoyen brésilien. Un apprentissage où le commerce du vote est en étroit rapport avec les relations de clientèle, la voie politique construite à partir de l’endroit où l’électeur s’inscrit sur la liste.
[1]Cf. José Murilo de Carvalho - Un théâtre d'ombres. Paris: MSH, 1990, p.142.
[2]Cf. Miriam Dolhnikoff, « Caminhos da Conciliação », dissertation finale de Maîtrise. Département d'Histoire, USP, 1993, p. 10, extrait d'un article du Correio Brasiliense, journal qui circulait à Rio de Janeiro au début du siècle.
[3] Le patrimonialisme n'est pas pris dans cette analyse dans le sens de la survie des structures traditionnelles dans les sociétés contemporaines. Il s'agit plutôt d'une forme encore actuelle de domination politique « par une couche sociale sans propriété et qui n'a pas d'honneur social par son propre mérite » (Weber, The City. New York: Free Press, 1958, p. 82), c'est à dire, la bureaucratie. Suivant ce modèle d'action on a créé l'organisation juridique qui a donné forme à l'établissement social et à l'entreprise économique du Brésil colonial, où l'ordre administratif précédait l'afflux populations. Les premières municipalités fondées au Brésil, en 1532, par exemple, ont précédé le peuplement, car « pour notre peuple, l'organisation politique des noyaux locaux n'est ni postérieur ni concomitante à son organisation sociale, est antérieure. La population naît déjà sous les prescriptions administratives », a écrit Oliveira Viana, Populações Meridionais do Brasil. Rio de janeiro: José Olympio, 1952, p. 342. Voir aussi Simon Schwartzman, Bases do Autoritarismo Brasileiro. Rio de Janeiro: Campus, 1982. Et Raimundo Faoro, Os Donos do Poder. Porto Alegre: Globo, 1975.
[4] Dans l'important livre de Maria Sylvia de Carvalho Franco, Homens Livres na Ordem Escravo­crata. Sao Paulo, 1969, il existe des références à des magistrats qui, pendant un jugement, se transforment en légistes (p. 128-135). Ilmar Rohloff de Mattos, O Tempo Saquarema. Sao Paulo: Hucitec/Brasilia, INL, 1987, étudie le théier de comédies de Martins Pena (auteur du XIX) et spécialement la pièce O Juiz de Paz na Roça, où un personnage s'oppose à la décision judiciaire qui allait le mettre en prison, justifiant qu'il était inconstitutionnel de l'emprisonner sans raison. Le Juge de Paix proclame: « Moi, le Juge de Paix, je ferai un bien en dérogeant la Constitution ».
[5] Voir Joaquim Nabuco, O Abolicionismo. Sao paulo: Ed. Nacional, 1938, p. 164. José Murilo de Carvalho, A Construção da Ordem. Rio de Janeiro: Campus, spécialement le chapitre 6.
[6] Je suis ici quelques réflexions de M. Offerlé in « La nationalisation de la citoyenneté civique », Université Paris I, 1994 et dans un cours mené par lui à Campinas, Brésil.
[7] Diplômé en droit ou en médecine. Les juristes tout particulièrement ont un grand pouvoir politique. De là la raison par laquelle le Brésil est réputé être le pays des bacharéis.
[8] Cf. Raimundo Faoro, Os Donos do Poder. Porto Alegre: Globo, 1975, p. 376.
[9] Cf. Miriam Dolhnikoff, supra, note 2, p. 54, d’après le Viconte de Uruguai, Ensaios sobre o Direito Administrativo. Rio de Janeiro: Tipografia Nacional, 1862, vol I.
[10] L’église, durant l’Empire était liée à l’Etat, ainsi les prêtres étaient considérés des fonctionnaires publics.
[11] Francisco Belisário Soares de Sousa, O Sistema Eleitoral no Brasil - Como funciona, como tem funcionado, como deve ser reformado. Rio de Janeiro: Tip. du Jornal do Rio de Janeiro, 1872, p. 22.
[12] Les instructions même pour les élections n’ont commencé à émaner du pouvoir législatif qu’après la consolidation de l’unité politique (loi n. 387 du 19.08.1846), vers la moitié du siècle dernier, quand les rébellions de province ont été complètement réprimées.
[13] Voir Dolnikoff, supra, note 2, p. 29, qui raconte les élections réalisées en décembre 1834, à Paranaguá, sud du Brésil. Le candidat qui a eu la plus de voix dans la ville (32 voix) n’a pas été élu car il n'avait pas obtenu des votes au-delà de sa municipalité. On forgeait ainsi la représentation provincial avec des députés qui, au moyen d’alliances les plus diverses, obtenaient de l’influence territoriale plus large.
[14] Tavares Bastos, A Província. São Paulo: Cia. Editora National, 1937, p. 159.
[15] Voir sur ce sujet Thomas Flory, El Juez de Paz y el Jurado en el Brasil Imperial. Mexico: Fondo de Cultura Econômica, 1986, p. 283-186.
[16] Brouillon de la lettre de Antonio Augusto da Silva Canêdo - Archive de la Fondation Henrique Hastenreiter, Muriaé, MG. (hors catalogue). Souligné par le juge lui même.
[17] La différence entre le féodalisme et le patrimonialisme est décrite avec précision par Richard Morse, « The heritage of Latin America », in Louis Hartz, (ed.) The Foundation of New Societies, New York: Harcourt, 1964: « Le leader patrimonial est toujours attentif et préoccupé en limiter la croissance d’une aristocratie rural douée de privilèges héréditaires. Il accorde des bénéfices ou des prébendes, comme rémunération pour les services rendus. La rémunération résultante de ces bénéfices constituait un attribut du poste et pas de celui qui l’occupait. Les manières caractéristiques de maintenir indemne l’autorité du leader incluaient des limitations de durée dans les postes royaux, interdiction pour les fonctionnaires d'acquérir des liens de parente ou économiques dans leurs juridiction et des espions pour surveiller à tous les niveaux de l’administration; définition imprécise des divisions fonctionnelles et compétitives et une surveillance mutuelle ». Voir sur le sujet Simon Schwartzman, Bases do Autoritarismo Brasileiro. Rio de Janeiro: Campus, 1982. Voir aussi Raimundo Faoro, supra, note 8.
[18] Cf. Francisco Iglésias, Política Econômica do Governo Provisorio Mineiro. Rio de Janeiro, 1958, p. 41.
[19]Machado de Assis, Esau e Jacó,
[20] Recrutement pour l'armée. Les opposicionistes étaient recrutés en période d’élection et pour des postes sans communication
[21] João Francisco Lisboa, Jornal de Timon. cité par Raimundo Faoro, supra, note 8, p. 378.
[22] Observation d’un financier belge cité par Sérgio Buarque de Holanda, História da Civilização Brasileira, Tome IV, vol. 5, p. 83.
[23] Voir spécialement le roman de José de Alencar, O Guarani, écrit en 1857. (en 1852 le journal A Nação a été crée et placé sous la direction de J. M. de Macêdo, un écrivain qui, comme José de Alencar, était aussi député).
[24] Cf. José Murilo de Carvalho, A Formação das Almas. São Paulo: Cia. das Letras, 1990.
[25] José Antônio Pimenta Bueno, Marquis de São Vicente, Direito Público Brasileiro e Análise da Constituição do Império. Brasília, 1978, p. 440.
[26] Francisco Rezende dans son oeuvre Minhas Recordações, Rio de Janeiro: José Olímpio, 1944, p. 176, distingue « les trois classes suivantes: celle des blancs et surtout de ceux qui par leur position constituaient ce qu’on appelle la bonne société; celle du peuple plus ou moins petit, et finalement celle des esclaves ».
[27] Cité par Sérgio Buarque de Holanda, História de la Civilização Brasileira, tome II, vol. 5.
[28] Rui Barbosa, Discursos Parlamentares. Obras Completas, vol. 7, p. 27.
[29] Murilo de Carvalho, Un théâtre d’ombres, supra, note 1.
[30] J.J. Tshudi, Viagens às Províncias do Rio de Janeiro e São Paulo. São Paulo: EDUSP, 1980.
[31] Luis P. de Lacerda Werneck, Idéias sobre Colonização. Precedidas de uma Sucinta Exposição dos princípios Gerais que Regem a População. Rio de Janeiro: Laemmert, 1855.
[32]Cf. Belisário de Souza, supra, note 11, p. 20.
[33]Dans le sens donné par M. Offerlé, Les Partis Politiques. Paris: PUF, 1987.
[34]Cf. Belisário de Souza, supra, note 11, p. 20.
[35] Ibid. p. 119.
[36] Cf. Murilo de Carvalho, Os Bestializados. São Paulo: Cia das Letras, p. 45. Voir sur l'analphabète, entre autres le travail de Mercedes Vilanova, Analfabetismo y elecctiones en la Barcelona delos años treinta, in Historia y Fuente Oral. Barcelona, n. 6, 1991. L’auteur montre que comme lettrés nous agissons avec d’autres registres de savoir qui ne correspondent pas à ceux des analphabètes. « Et si nous considérons les analphabètes comme des personnes qui dépendent des autres pour avoir de l’information, on exagère pas si l’on dit que nous sommes tous analphabètes ».
[37] Francisco de Assis Barbosa, Minas e a Constituinte de 1890, in V Seminário de Estudos Mineiros UFMG, Belo Horizonte, 1982.
[38] Murilo de Carvalho, supra, note 1.
[39] Le radical républicain était Silva Jardim. L’information ci-dessus se trouve dans Murilo Carvalho, Os Bestializados, supra, note 1, p.87.
[40] Cité par Maria Efigênia Lage de Resende, Formação da Estrutura de Dominação em Minas Gerais. Belo Horizonte: UFMG, 1982.
[41] Mário Palmério, Vila dos Confins, p. 153. Sur la motivation des travailleurs ruraux, voir le travail de Janaína Amado « Eu quero ser uma pessoa », in Resgate, 1992.
[42] Les partis politiques eux-mêmes se sont régionalisés dans la première période républicaine. Il y avait le PRM (Partido Republicano Mineiro); le PRP (Partido Republicano Paulista) et ainsi de suite. Pendant l’Empire les partis étaient nationaux.

[g1]